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Portrait de La Fontaine par Dali, AFA Gallery, NYC.

Un style étincelant

La vie de Jean de La Fontaine

Jean de La Fontaine est né en juillet 1621 à Chateau-Thierry. On ne sait pas grand chose de son éducation ni de sa formation. Il entame à vingt ans des études théologiques à l’Oratoire mais y renonce au bout de seize mois. Il préfère la littérature, les amis, les femmes, la poésie. La profession de poète ne payant pas, il se met sous la protection d’un personnage immensément riche : le surintendant Fouquet. Drame : au faîte de sa puissance, le ministre est mis en prison pour le reste de sa vie après un procès franchement bâclé, par un Roi-Soleil qui ne supportait pas qu’on lui fasse de l’ombre. La Fontaine doit chercher un autre protecteur. Ce sera une protectrice : la duchesse de Bouillon. Mais Jean, sous ses airs de papillon, sera marqué par son impuissance et celle de Fouquet devant la colère du Roi. Au cours d’un voyage dans le Limousin, il se fait conduire devant une geôle où avait été détenu Fouquet et reste jusqu’à la nuit devant la porte, dans une sombre mélancolie.

Outre cet attachement, on ne lui en connaît guère : marié à 26 ans avec une très jeune femme, il s’en lasse vite, la trompe, elle le trompe, il s’en fiche et sympathise avec l’amant de sa femme, au désespoir de cette dernière. Il a un fils, mais plutôt que de veiller sur lui, notre poète préfère vivre et se divertir à Paris, comme un libertin qu’il est. Il écrit des Contes et des Fables qui rencontrent un certain succès. Il s’essaye à d’autres genres littéraires, et même à l’opéra ; il finit par entrer à l’académie. A 71 ans, malade, il renie ses Contes et ses Fables et meurt un an plus tard, en 1695.

Faiblesse

« Hier, comme je revenais de l’académie, il me prit au milieu de la rue du Chantre une si grande faiblesse que je crus véritablement mourir. Or mon cher, mourir n’est rien; mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. »

 

 

Lettre à Monsieur de Maucroix, 10 février 1695

La Fontaine et son époque

Rien d’exceptionnel dans la vie de Jean de La Fontaine : c’est l’existence d’un poète détaché de sa famille, épicurien et qui semble ne rien prendre au sérieux.

Mais même si le poète se donne des airs de chasseurs de papillon, il ne faut pas s’y tromper : il était redoutablement lucide sur son temps. Est-ce que ses Fables nous apprennent beaucoup de choses sur les animaux ? Non, bien sûr. Ce sont des hommes qu’il s’agit, des puissants ou des misérables qu’il a connus : Louis XIV ou un pilier de taverne. Et c’est la dureté de son temps qui fait ses fables si puissantes. Peut-on avoir raison tout seul ? Non. Faut-il mentir pour vivre ? Oui. Y a-t-il chez les hommes une passion plus forte que la vanité ? Non. Le monde de La Fontaine n’est pas tendre.

C’est un monde tissé de rapports de force et d’hypocrisie, où l’honnêteté ne sert qu’à recevoir des coups de bâton. Malgré tout, la joie est de ce monde. Mais il ne faut pas la manquer quand elle se présente : roucouler quand on est amoureux, boire le verre d’eau fraîche qu’on vous tend, dormir jusqu’à midi quand on le peut.

Bonjour, Monsieur du Corbeau !

« Oui, Monseigneur, je le répète encore une fois, il n’y a sorte de louange où vous ne puissiez aspirer : la grandeur et le haut mérite vous environnent de toutes parts; soit que vous portiez les yeux sur vous-même, soit que vous les détourniez sur la longue suite de ces héros dont vous descendez, et qui vivront éternellement dans la mémoire des hommes. »

Dédicace de La Fontaine à Monseigneur le duc de Guise

 

« Hé! Bonjour, Monsieur du Corbeau ! Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau ! »

 

Le corbeau et le renard

Sa place dans l'histoire de la littérature

Le XVIIe siècle est crucial dans l’histoire de la langue française. Après la Renaissance, siècle d’expérimentations et d’ivresses littéraires en tous sens, les écrivains et critiques aboutissent à une norme commune : c’est la clarté et l’élégance, disent-ils, qui font le caractère propre de notre langue. Il faut fuir le vocabulaire trop « bas », mais en même temps toujours être précis et limpide. L’expression d’une idée peut être complexe, mais pas compliquée ou tortueuse. Une métaphore peut être saisissante, surprenante, mais pas obscure ou énigmatique. Et sur cette ligne de crête, La Fontaine excelle.

Cet auteur n’a pas fondé d’école ou de genre littéraire. Mais il a toujours été lu par tous les écrivains, qui pour la plupart ont vu en ses écrits un sommet de l’expression en langue française. Il est un peu aux mots ce que Lionel Messi est au dribble : des appuis courts, une fluidité parfaite, une agilité d’écureuil.

La roue de la fortune

« En vérité, la fortune se moque bien du travail des hommes. J’en entretins le soir notre compagnie, et le lendemain nous traversâmes la Beauce, pays ennuyeux, et qui, outre l’inclination que j’ai à dormir, nous en fournissait un très beau sujet. »

 

Lettre à sa femme, 30 aout 1663

Pourquoi La Fontaine est un écrivain extraordinaire

Pour arriver à la clarté et à la fluidité parfaites dans l’expression, sans être insipide, il faut beaucoup travailler. Surtout quand on ajoute la contrainte des rimes. Sous une apparence de simplicité, les textes de Jean de La Fontaine sont taillés comme des diamants. Une fois sorti de l’atelier, ils brillent et pour longtemps : c’est dense, il n’y a rien à retrancher, rien à ajouter.

Pour gagner en concision, il a même inventé le style indirect libre, repris 200 ans plus tard par Flaubert et ensuite par la plupart des romanciers. Grâce à ce procédé, le narrateur peut prendre instantanément le point de vue d’un personnage, en escamotant des transitions qui alourdiraient le récit : « Revenue à son bureau, Tamara finissait d’écrire le texte. Comment rédiger cette conclusion, sacré nom de dieu ! Personne ne lui viendrait donc en aide ?« 

Des nuances infinies

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque de La Fontaine, les moyens de se divertir étaient extrêmement réduits : pas d’écran, pas de son, et très peu de livres. Dans ces conditions, la conversation prenait une grande importance. On peut donc supposer que, un peu comme les Bédouins que décrit Wilfred Thesiger, ayant le désert pour tout environnement, sont sensibles à des nuances de sable que nous n’apercevons pas, les femmes et les hommes de cette époque étaient beaucoup plus sensibles aux mots, aux registres de discours et aux nuances de la langue. Pour bien profiter de La Fontaine (comme de tous les auteurs du XVIIe siècle en France), il faut donc mettre le curseur de notre sensibilité au maximum, être à l’affût du son, de la tournure, des nuances de rythme.

Final

« La Fontaine, c’est final. Il n’y a rien à ajouter. C’est fait, c’est correct. C’est plein. C’est ça, c’est tout… Après, eh bien dame, après, y a plus rien à faire. »

 

 

L.-F. Céline, entretien avec Jean Guénot, 1960

Œuvres principales

Les Fables

Les textes sont présentés avec une orthographe moderne et classés par les thèmes qu’ils abordent.

La vanité

La démesure

La mort

Le pouvoir

La liberté

L'esprit de suite

Les Contes