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La vie des mythes

La vie de Michel Tournier

Michel Tournier naît à Paris en décembre 1924. Découvrant la philosophie avec enthousiasme au lycée, il veut devenir professeur. Las ! Il est recalé au concours, même pas admissible aux oraux. Renonçant à l’enseignement, il gagne sa vie dans la radio et l’édition, tout en méditant aux moyens de faire de la philosophie « en contrebandier ». Cette réflexion aboutira à Vendredi, ou les limbes du pacifique, qu’il fait publier en 1967, à l’âge de 43 ans. Succès immédiat !

Une œuvre dense

Michel Tournier écrit ensuite Le Roi des Aulnes (1970) qui obtiendra le prix Goncourt, puis Les Météores (1974). Tout en continuant ses romans avec Gaspard, Melchior et Balthazar, ou La goutte d’or (1986), Michel Tournier se tourne de plus en plus vers d’autres formes d’écriture (Journal extime, Célébrations, Le Médianoche amoureux...). Si ses romans explorent volontiers des questions gênantes ou tabou, l’existence de Michel Tournier est très sage et rangée, tapie dans un ancien presbytère de la vallée de Chevreuse. Il partage sa vie entre l’écriture, le jardinage, de longues enquêtes pour ses œuvres, et de nombreuses rencontres avec des classes de collège ou de lycée. Michel Tournier meurt en 2016.

Focale

« J’aime regarder les choses de très près.  »

 

Interview

Michel Tournier et son temps

Dans la vallée de Chevreuse, Michel Tournier vit assez éloigné des débats publics et des polémiques littéraires, tout en scrutant son époque. Au fond, il est de la famille de Flaubert. S’il se donne les apparences de l’écrivain solitaire méditant ses œuvres pendant de longues années, il mène aussi des enquêtes très approfondies et réunit pour ses livres une documentation impressionnante.

Michel Tournier n’hésite pas à payer de sa personne. Pour La goutte d’or, il va dans les chantiers, les usines, les foyers de travailleurs, et il prend même des leçons de marteau-piqueur. Il choisit ses thèmes avec beaucoup de soin, et ils répondent souvent aux grands sujets de son temps : la guerre (Le Roi des Aulnes), la rencontre avec le tiers-monde (Vendredi, La goutte d’or), l’homosexualité (Les Météores), la suprématie de l’image (La goutte d’or, Pierrot ou les secrets de la nuit), la parole dans le couple (la nouvelle « Les amants taciturnes » dans Le médianoche amoureux).

Sa place dans l'histoire de la littérature

De quels écrivains Michel Tournier est-il le père ? Difficile à dire pour l’instant. Mais on sait bien quelles sont ses sources. Ce sont des conteurs : La Fontaine, Charles Perrault, Andersen, Saint-Exupéry (Le Petit prince) sont pour lui des modèles et des inspirations.

"Le numéro un de mes maîtres, c'est Flaubert"

Mais la réussite parfaite est incarnée à ses yeux par Flaubert, et particulièrement le Flaubert des Trois Contes : une écriture simple, à la portée de tous les âges, mais d’une puissance d’évocation extraordinaire. « Il n’y a pas une œuvre littéraire qui me fascine plus et à laquelle je dois davantage qu’à Hérodias « , dira-t-il. On peut remarquer cette filiation par certains « trucs » d’écrivains, et notamment par une approche commune de la description.

Admiration

« L’écrivain devient écrivain par admiration pour la littérature et pour les chefs-d’œuvre qu’il a lus, et qui sont pour lui des modèles qu’il cherche à approcher. »

Conférence

 

Pourquoi Michel Tournier est un auteur extraordinaire

Le plaisir de lire Michel Tournier advient par la lenteur. Comme Marguerite Yourcenar, Tournier est un écrivain dense. Il faut le lire comme boivent les poules, en relevant la tête de temps en temps, pour faire couler. Ses œuvres sont d’une richesse symbolique parfois étourdissante et elles ont cette vertu de rendre le lecteur plus intelligent.

Son écriture est d’une grande beauté. Précise et limpide, elle sait aussi faire luire des trouvailles sémantiques puisées dans des lexiques spécialisés : ainsi dans Le Roi des aulnes, la description détaillée des bois du cerf, constitués d’andouillers, de merrains, de perlures, d’empaumures, de pointes

Choisissant et préparant les mots avec gourmandise, Michel Tournier fait de la haute cuisine pour notre plus grand plaisir. D’ailleurs, pour les goûter et s’assurer qu’elles sonnent, il « gueulait » ses phrases comme Flaubert. Faites l’essai sur cette citation de Vendredi ou les limbes du pacifique : pas d’erreur, ça sonne !

« Sur le miroir mouillé de la lagune, je vois Vendredi venir à moi, de son pas calme et régulier ».

Public

« Je n’écris pas pour les enfants, j’écris de mon mieux. Et quand j’approche de mon mieux, ce que j’écris est si bon qu’ils peuvent me lire aussi. »

 

Entretien

Œuvres majeures

1967

Vendredi, ou les limbes du pacifique

Comment rester humain quand on est seul sur une île ? Peut-on imaginer un autre développement de la rencontre entre le Nord et le Sud ? En décentrant l’histoire de Robinson sur sa rencontre avec Vendredi, Michel Tournier rend toute son actualité au mythe.

« Il ferma les yeux et appuya sa joue contre le tronc, seul point ferme dont il disposât. Dans cette vivante mâture, le travail du bois, surchargé de membres et cardant le vent, s’entendait comme une vibration sourde que traversait parfois un long gémissement. Il écouta longuement cette apaisante rumeur. L’angoisse desserrait son étreinte. Il rêvait. L’arbre était un grand navire ancré dans l’humus et il luttait, toutes voiles dehors, pour prendre enfin son essor. »

1970

Le Roi des Aulnes

Un homme se découvre ogre et tente de suivre sa destinée exceptionnelle. A travers la vie de ce personnage mythique, Michel Tournier nous amène à explorer les significations de la seconde guerre mondiale, et comment l’adoration de l’enfance peut immédiatement se retourner en sa destruction. Un chef d’œuvre.

« L’enfant de douze ans a atteint un point d’équilibre et d’épanouissement insurpassable qui fait de lui le chef-d’oeuvre de la vocation. (…) Il est si beau de visage et de corps que toute beauté humaine n’est que le reflet plus ou moins lointain de cet âge. Et puis, c’est la catastrophe. Toutes les hideurs de la virilité -cette crasse velue, cette teinte cadavérique des chairs adultes, ces joues râpeuses, ce sexe d’âne démesuré, informe et puant -fondent ensemble sur le petit prince jeté à bas de son trône. »

1974

Les Météores

Si la notion de gémellité apparaissait déjà dans ses oeuvres précédentes, Michel Tournier consacre ce livre entièrement à cette question qui est aussi celle du couple et de l’amour…

« quand on a connu l’intimité gémellaire, toute autre intimité ne peut être ressentie que comme une dégoûtante promiscuité. »

1977

Vendredi, ou la vie sauvage

Michel Tournier n’était pas satisfait de Vendredi ou les limbes du pacifique : il trouvait le livre trop didactique et compliqué. C’est pourquoi il réécrivit une version du livre correspondant mieux à son idéal d’écriture, limpide, net et concis.

« C’est très difficile de rester un homme quand personne n’est là pour vous y aider ! Contre cette mauvaise pente, il ne connaissait comme remèdes que le travail, la discipline et l’exploitation de toutes les ressources de l’île. »

1979

Pierrot ou les secrets de la nuit

« Traité d’ontologie qui a toutes les apparences du conte pour enfant », ce court récit est pour Michel Tournier sa plus belle réussite. Il est aussi réédité dans Le Médianoche amoureux.

« La nuit, la rivière chante plus haut et plus clair, et elle scintille de mille et mille écailles d’argent. Le feuillage que les grands arbres secouent sur le ciel sombre est tout pétillant d’étoiles. Les souffles de la nuit sentent plus profondément l’odeur de la mer, de la forêt et de la montagne que les souffles du jour imprégnés par le travail des hommes. »

1980

Gaspard, Melchior, et Balthazar

Légende presque réduite à des figurines de crèche, les rois mages prennent vie par le souffle de Michel Tournier. L’amour déçu, la quête de la beauté pure, la misère et même l’appétit d’un gourmand frustré viennent à la rencontre d’une naissance qui augure un âge nouveau.

« Les légendes vivent de notre substance. Elles ne tiennent leur vérité que de la complicité de nos cœurs. Dès lors que nous n’y reconnaissons pas notre propre histoire, elles ne sont que bois mort et paille sèche. »

1989

Le Médianoche amoureux

Un couple qui ne se parle plus invite des amis à leur raconter des histoires toute une nuit. C’est la trame de ce recueil de nouvelles qui sont des variations autour de l’amour. La première, notamment, est un chef d’œuvre !

« Qu’est-ce qu’une scène de ménage ? C’est le triomphe de la femme. C’est lorsque la femme a enfin réussi à force de harcèlements à arracher l’homme à son silence. Alors il crie, il tempête, il injurie, et la femme se laisse voluptueusement baigner par cette averse verbale. »