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Madame Bovary

 

 Madame Bovary phantasme, phantasme sans arrêt et c’est là son malheur. Pour vivre ses désirs elle est prête à tout. Abandonner son mari, jeter l’argent par les fenêtres. Mais… la réalité est plus forte que tout les désirs, semble nous dire Flaubert.

 

 

 Madame était dans sa chambre. On n’y montait pas. Elle restait là tout le long du jour, engourdie, à peine vêtue, et, de temps à autre, faisant fumer des pastilles du sérail qu’elle avait achetées à Rouen, dans la boutique d’un Algérien. Pour ne pas avoir la nuit auprès d’elle cet homme étendu qui dormait, elle finit, à force de grimaces, par le reléguer au second étage ; et elle lisait jusqu’au matin des livres extravagants où il y avait des tableaux orgiaques avec des situations sanglantes. Souvent une terreur la prenait, elle poussait un cri. Charles accourait. – Ah ! va-t’en ! disait-elle. Ou, d’autres fois, brûlée plus fort par cette flamme intime que l’adultère avivait, haletante, émue, tout en désir, elle ouvrait sa fenêtre, aspirait l’air froid, éparpillait au vent sa chevelure trop lourde, et, regardant les étoiles, souhaitait des amours de prince. Elle pensait à lui, à Léon. Elle eût alors tout donné pour un seul de ces rendez-vous, qui la rassasiaient.

C’était ses jours de gala. Elle les voulait splendides ! et, lorsqu’il ne pouvait payer seul la dépense, elle complétait le surplus libéralement, ce qui arrivait à peu près toutes les fois. Il essaya de lui faire comprendre qu’ils seraient aussi bien ailleurs, dans quelque hôtel plus modeste, mais elle trouva des objections.

Un jour, elle tira de son sac six petites cuillers en vermeil (c’était le cadeau de noces du père Rouault), en le priant d’aller immédiatement porter cela, pour elle, au mont-de-piété ; et Léon obéit, bien que cette démarche lui déplût. Il avait peur de se compromettre.

Puis, en y réfléchissant, il trouva que sa maîtresse prenait des allures étranges, et qu’on n’avait peut-être pas tort de vouloir l’en détacher.

En effet, quelqu’un avait envoyé à sa mère une longue lettre anonyme, pour la prévenir qu’il se perdait avec une femme mariée ; et aussitôt la bonne dame, entrevoyant l’éternel épouvantail des familles, c’est-à-dire la vague créature pernicieuse, la sirène, le monstre, qui habite fantastiquement les profondeurs de l’amour, écrivit à maître Dubocage son patron, lequel fut parfait dans cette affaire. Il le tint durant trois quarts d’heure, voulant lui dessiller les yeux, l’avertir du gouffre. Une telle intrigue nuirait plus tard à son établissement. Il le supplia de rompre, et, s’il ne faisait ce sacrifice dans son propre intérêt, qu’il le fît au moins pour lui, Dubocage !

Léon enfin avait juré de ne plus revoir Emma ; et il se reprochait de n’avoir pas tenu sa parole, considérant tout ce que cette femme pourrait encore lui attirer d’embarras et de discours, sans compter les plaisanteries de ses camarades, qui se débitaient le matin, autour du poêle. D’ailleurs, il allait devenir premier clerc : c’était le moment d’être sérieux. Aussi renonçait-il à la flûte, aux sentiments exaltés, à l’imagination ; – car tout bourgeois, dans l’échauffement de sa jeunesse, ne fût-ce qu’un jour, une minute, s’est cru capable d’immenses passions, de hautes entreprises. Le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes ; chaque notaire porte en soi les débris d’un poète.

Il s’ennuyait maintenant lorsque Emma, tout à coup, sanglotait sur sa poitrine ; et son coeur, comme les gens qui ne peuvent endurer qu’une certaine dose de musique, s’assoupissait d’indifférence au vacarme d’un amour dont il ne distinguait plus les délicatesses.

Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage.

 

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