French literature

War

 

Distant people hear that they are going to fight, and that they may gain five or six sous a day, if they will be of the party; they divide themselves into two bands, like reapers, and offer their services to whoever will employ them.

These multitudes fall upon one another, not only without having any interest in the affair, but without knowing the reason of it. We see at once five or six belligerent powers, sometimes three against three, sometimes two against four, and sometimes one against five; all equally detesting one another, uniting with and attacking by turns; all agree in a single point, that of doing all the harm possible.

The most wonderful part of this infernal enterprise is that each chief of the murderers causes his colors to be blessed, and solemnly invokes God before he goes to exterminate his neighbors. If a chief has only the fortune to kill two or three thousand men, he does not thank God for it; but when he has exterminated about ten thousand by fire and sword, and, to complete the work, some town has been levelled with the ground, they then sing a long song in four parts, composed in a language unknown to all who have fought, and moreover replete with barbarism. The same song serves for marriages and births, as well as for murders; which is unpardonable, particularly in a nation the most famous for new songs.

Natural religion has a thousand times prevented citizens from committing crimes. A well-trained mind has not the inclination for it; a tender one is alarmed at it, representing to itself a just and avenging God; but artificial religion encourages all cruelties which are exercised by troops—conspiracies, seditions, pillages, ambuscades, surprises of towns, robberies, and murder. Each marches gaily to crime, under the banner of his saint.

A certain number of orators are everywhere paid to celebrate these murderous days; some are dressed in a long black close coat, with a short cloak; others have a shirt above a gown; some wear two variegated stuff streamers over their shirts. All of them speak for a long time, and quote that which was done of old in Palestine, as applicable to a combat in Veteravia.

The rest of the year these people declaim against vices. They prove, in three points and by antitheses, that ladies who lay a little carmine upon their cheeks, will be the eternal objects of the eternal vengeances of the Eternal; that Polyeuctus and Athalia are works of the demon; that a man who, for two hundred crowns a day, causes his table to be furnished with fresh sea-fish during Lent, infallibly works his salvation; and that a poor man who eats two sous and a half worth of mutton, will go forever to all the devils.

Of five or six thousand declamations of this kind, there are three or four at most, composed by a Gaul named Massillon, which an honest man may read without disgust; but in all these discourses, you will scarcely find two in which the orator dares to say a word against the scourge and crime of war, which contains all other scourges and crimes. The unfortunate orators speak incessantly against love, which is the only consolation of mankind, and the only mode of making amends for it; they say nothing of the abominable efforts which we make to destroy it.

You have made a very bad sermon on impurity—oh, Bourdaloue!—but none on these murders, varied in so many ways; on these rapines and robberies; on this universal rage which devours the world. All the united vices of all ages and places will never equal the evils produced by a single campaign.

Miserable physicians of souls! you exclaim, for five quarters of an hour, on some pricks of a pin, and say nothing on the malady which tears us into a thousand pieces! Philosophers! moralists! burn all your books. While the caprice of a few men makes that part of mankind consecrated to heroism, to murder loyally millions of our brethren, can there be anything more horrible throughout nature?

What becomes of, and what signifies to me, humanity, beneficence, modesty, temperance, mildness, wisdom, and piety, while half a pound of lead, sent from the distance of a hundred steps, pierces my body, and I die at twenty years of age, in inexpressible torments, in the midst of five or six thousand dying men, while my eyes which open for the last time, see the town in which I was born destroyed by fire and sword, and the last sounds which reach my ears are the cries of women and children expiring under the ruins, all for the pretended interests of a man whom I know not?

 

 

 

 

 

 

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Voltaire, Philosophical dictionnary (1764).

Guerre

 

Des peuples assez éloignés entendent dire qu’on va se battre, et qu’il y a cinq ou six sous par jour à gagner pour eux s’ils veulent être de la partie : ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des moissonneurs, et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer.

Ces multitudes s’acharnent les unes contre les autres, non-seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s’agit. On voit à la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s’unissant et s’attaquant tour à tour ; toutes d’accord en un seul point, celui de faire tout le mal possible.

Le merveilleux de cette entreprise infernale, c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. Si un chef n’a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n’en remercie point Dieu ; mais lorsqu’il y en a eu environ dix mille d’exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres : ce qui n’est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.

La religion naturelle a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née n’en a pas la volonté ; une âme tendre s’en effraye ; elle se représente un Dieu juste et vengeur. Mais la religion artificielle encourage à toutes les cruautés qu’on exerce de compagnie, conjurations, séditions, brigandages, embuscades, surprises de villes, pillages, meurtres. Chacun marche gaiement au crime sous la bannière de son saint.

On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières ; les uns sont vêtus d’un long justaucorps noir, chargé d’un manteau écourté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants d’étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps ; ils citent ce qui s’est fait jadis en Palestine, à propos d’un combat en Vétéravie.

Le reste de l’année, ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points et par antithèses que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin sur leurs joues fraîches seront l’objet éternel des vengeances éternelles de l’Éternel ; que Polyeucte et Athalie sont les ouvrages du démon ; qu’un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée un jour de carême fait immanquablement son salut, et qu’un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables.

De cinq ou six mille déclamations de cette espèce, il y en a trois ou quatre, tout au plus, composées par un Gaulois nommé Massillon, qu’un honnête homme peut lire sans dégoût ; mais dans tous ces discours, à peine en trouverez-vous deux où l’orateur ose dire quelques mots contre ce fléau et ce crime de la guerre, qui contient tous les fléaux et tous les crimes. Les malheureux harangueurs parlent sans cesse contre l’amour, qui est la seule consolation du genre humain, et la seule manière de le réparer ; ils ne disent rien des efforts abominables que nous faisons pour le détruire.

Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l’impureté, ô Bourdaloue ! mais aucun sur ces meurtres variés en tant de façons, sur ces rapines, sur ces brigandages, sur cette rage universelle qui désole le monde. Tous les vices réunis de tous les âges et de tous les lieux n’égaleront jamais les maux que produit une seule campagne.

Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d’heure sur quelques piqûres d’épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux ! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l’héroïsme sera ce qu’il y a de plus affreux dans la nature entière.

Que deviennent et que m’importent l’humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu’une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux, qui s’ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu’entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d’un homme que nous ne connaissons pas ?

 

 

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Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764)

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