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Le Retour du Tchad

 

 

 

 

Agé de 57 ans, André Gide partit en juillet 1926 pour un voyage de 9 mois en Afrique équatoriale, à travers forêt, fleuves, savane, à cheval, à pied, ou en chaise à porteurs. Il en tira deux livres, Le Voyage au Congo et le Retour du Tchad (sa suite), où il se montra très critique envers le monde colonial. Les livres firent polémique et aboutirent à des réformes. Dans cet extrait du Retour du Tchad, Gide décrit son arrivée dans un village étrange.

 

« Nous arrivons vers le soir à Gamsi devant les premières cases en obus. C’est un tout petit village de la tribu des Massa, après le confluent des deux bras du Logone. Le soleil est près de disparaître ; tout est rose et bleu, vaporeux, irréel. Devant le village, un banc de sable.

Au milieu du fleuve, un curieux îlot allongé, une étroite bande de buissons sur lesquels va bientôt percher une bande prodigieuse d’échassiers, blancs, noirs et gris. D’instant en instant de nouveaux arrivants, qui d’abord hésitent : tout est « complet ». Bah ! En se tassant un peu on finira bien par trouver place.

Un peu en aval, une grande île s’achève en angles obtus, à l’extremité de laquelle un peuple de canards, de sarcelles et de grues va gîter pour la nuit.

A l’horizon une rampe de flammes ; c’est la prairie incendiée dont l’embrasement rougit un côté de la nuit. Immense plaine, très rares arbrisseaux de loin en loin ; ce dénuement magnifie encore les trois grands arbres du village. Parmi nombre de cases rondes, les premières en forme d’obus paraissent plus belles encore que je ne pouvais le supposer. D’une perfection de forme qui fait penser à quelque travail d’insectes, ou à un fruit : pomme de conifère ou ananas. Dans l’intérieur des cases rondes, bétail, volailles et gens couchent ; mais non point pêle-mêle ; chacun a sa place attitrée ; tout est en ordre et tout est propre. (…)

A l’intérieur de la case règne une fraîcheur qui paraît délicieuse lorsqu’on vient du dehors embrasé. Au-dessus de la porte, semblable à quelque énorme trou de serrure, une sorte de colombarium-étagère, où sont disposés des vases et des objets de ménage. Les murs sont lisses, lustrés, vernissés. »




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