Le Mariage de Figaro
Acte V, scène 3. Au cours de ce célèbre monologue, Figaro s’interroge sur le sens de son existence, où il ne voit aucune cohérence. La mélancolie du héros détonne ici fortement avec le ton général de la pièce et lui donne une autre dimension.
Audio : Jean-Louis Barrault dans un enregistrement de 1960.
FIGARO, seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre.
(…) Ô bizarre suite d’événements ! Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis ; encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile, un petit animal folâtre, un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre, maître ici, valet là, selon qu’il plaît à la fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux… avec délices ! orateur selon le danger, poète par délassement ; musicien par occasion, amoureux par folles bouffées, j’ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l’illusion s’est détruite, et, trop désabusé… Désabusé !… Suzon, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments !…
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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784). Acte V, scène 3 (extrait).
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