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Le Barbier de Séville

Acte II, scène 8 (extrait).

Bartholo est un vieux bourgeois fiancé à une jeune femme. Il craint d’éventuels rivaux, et en particulier le comte Almaviva qui vient d’arriver en ville. Comment supprimer cette menace ? Basile a une idée.

Enregistrement audio : théâtre royal du parc, Bruxelles, 1997. Mise en scène de Gérald Marti.

 

Basile.

 

Si c’était un particulier, on viendrait à bout de l’écarter.

 

Bartholo.

 

Oui, en s’embusquant le soir, armé, cuirassé…

 

Basile.

 

Bone Deus, se compromettre ! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure ; et pendant la fermentation calomnier à dire d’experts ; concedo.

 

Bartholo.

 

Singulier moyen de se défaire d’un homme !

 

Basile.

 

La calomnie, monsieur ! vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse !… D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et, rinforzando de bouche en bouche, il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?

 

***

 

 Beaumarchais, Le Barbier de Séville (1775). Acte II, scène 8 (extrait).