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Le Mariage de Figaro

 

Acte III, scène 16. Marceline rappelle à Bartholo sa promesse de l’épouser après qu’elle ait eu un fils de lui, mais celui-ci n’en veut rien savoir. Elle laisse alors éclater sa colère.

Enregistrement audio : Compagnie Colette Roumanoff.

 

Brid’oison.

C’est clair, i-il ne l’épousera pas.

Bartholo.

Ni moi non plus.

Marceline.

Ni vous ! Et votre fils ? Vous m’aviez juré…

Bartholo.

J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d’épouser tout le monde.

Brid’oison.

E-et si l’on y regardait de si près, pè-ersonne n’épouserait personne. 

Bartholo.

Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !

 Marceline, s’échauffant par degrés.

Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas nier mes fautes, ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur de les expier après trente ans d’une vie modeste ! J’étais née, moi, pour être sage, et je le suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent, pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui peut-être en sa vie a perdu dix infortunées !

Figaro.

Les plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle. 

Marceline, vivement.

Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe.

Figaro, en colère.

Ils font broder jusqu’aux soldats !

Marceline, exaltée.

Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoire : leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !

Figaro.

Elle a raison !

Le Comte, à part.

Que trop raison !

Brid’oison.

Elle a, mon-on Dieu, raison.

  

***

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784). Acte III, scène 16 (extrait).