Littératurefrançaise.net

Plaisir pur

Claudine se marie, mais son ménage devient rapidement un ménage à trois. La merveilleuse Rézi a en effet séduit Claudine qui trouve avec elle un plaisir sans remords…

 

Je la tiens contre mon cœur, et tout le long de moi. Ses genoux frais me touchent, les petits ongles de ses pieds me griffent délicieusement. Sa chemise froissée n’est qu’un chiffon de mousseline. Mon bras ployé supporte précieusement sa nuque, son visage baigne dans l’onde de ses cheveux. Le jour finit, l’ombre atteint les feuillages clairs de cette tenture nouvelle et gênante à mes yeux. De temps en temps, si près de ma bouche, aux dents de Rézi qui parle, un reflet luit comme une ablette. Elle parle dans une fièvre gaie, un bras nu levé, dessinant de l’index ce qu’elle dit. Je suis dans le demi-jour ce bras blanc sinueux, dont le geste rythme ma lassitude et l’adorable tristesse qui m’enivre… Je voudrais qu’elle fût triste comme moi, comme moi recueillie et craintive devant les minutes qui nous échappent, qu’au moins elle me laissât à mon souvenir… Elle est délicieusement jolie, à présent. Tout à l’heure, elle fut passionnément belle… Comme blessée à la première caresse, elle tourna vers moi une merveilleuse figure de bête, les sourcils bas, la lèvre relevée et meurtrière, une expression forcenée et suppliante. Puis tout fondit dans l’offre effrénée, dans l’exigence murmurante, dans une sorte de colère amoureuse, suivie de « Merci… » enfantins, de grands « Ah ! » soupirés et satisfaits, comme une petite fille qui avait bien soif et qui a bu d’un trait jusqu’au bout de son haleine…

Elle parle à présent, et sa voix chère, pourtant, trouble l’heure précieuse… En vérité, elle bavarde sa joie, comme Renaud… Ne peuvent-ils la goûter en silence ? Me voici toute sombre comme cette chambre étrangère… Quelle mauvaise partenaire d’après-aimer je fais.

Je me ranime en étreignant le corps tiède qui s’adapte au mien, qui lie quand je plie, le corps aimé, si charnu dans sa fuyante minceur que, nulle part, je ne trouve son armature résistante…

– Ah ! Claudine, vous serrez si fort !… Oui, je vous assure que sa froideur conjugale, sa jalousie outrageuse peuvent tout excuser…

(Elle parle de son mari ? Je n’écoutais pas… Et qu’a-t-elle besoin d’excuse ? Ce mot sonne mal ici. D’un baiser, j’endigue le flot de ses douces paroles… pour quelques secondes.)

***

 

Colette, Claudine en ménage, 1902.