Cinna
Émilie et Cinna s’aiment, mais Émilie exige de Cinna qu’il tue Auguste, mission rendue de plus en plus difficile par la générosité d’Auguste à son égard. Cinna finit par dire ses hésitations à Émilie qui le prend très mal.
Audio : Fanny Robiane (Emilie), Hubert Buthion (Cinna). 1958 – BNF Collection 2014
Acte III, Scène IV.
ÉMILIE, CINNA, FULVIE.
(…)
ÉMILIE.
Je suis toujours moi-même, et mon cœur n’est point autre :
Me donner à Cinna, c’est ne lui donner rien,
C’est seulement lui faire un présent de son bien.
CINNA.
Vous pouvez toutefois… ô ciel ! l’osé-je dire ?
ÉMILIE.
Que puis-je ? et que crains-tu ?
CINNA.
Je tremble, je soupire,
Et vois que si nos cœurs avaient mêmes désirs,
Je n’aurais pas besoin d’expliquer mes soupirs.
Ainsi je suis trop sûr que je vais vous déplaire ;
Mais je n’ose parler, et je ne puis me taire.
ÉMILIE.
C’est trop me gêner, parle.
CINNA.
Il faut vous obéir.
Je vais donc vous déplaire, et vous m’allez haïr.
Je vous aime, Émilie, et le ciel me foudroie
Si cette passion ne fait toute ma joie,
Et si je ne vous aime avec toute l’ardeur
Que peut un digne objet attendre d’un grand cœur !
Mais voyez à quel prix vous me donnez votre âme :
En me rendant heureux vous me rendez infâme ;
Cette bonté d’Auguste…
ÉMILIE.
Il suffit, je t’entends,
Je vois ton repentir et tes vœux inconstants :
Les faveurs du tyran emportent tes promesses ;
Tes feux et tes serments cèdent à ses caresses ;
Et ton esprit crédule ose s’imaginer
Qu’Auguste, pouvant tout, peut aussi me donner.
Tu me veux de sa main plutôt que de la mienne ;
Mais ne crois pas qu’ainsi jamais je t’appartienne :
Il peut faire trembler la terre sous ses pas,
Mettre un roi hors du trône, et donner ses États,
De ses proscriptions rougir la terre et l’onde,
Et changer à son gré l’ordre de tout le monde ;
Mais le cœur d’Émilie est hors de son pouvoir.
***
Extrait de Cinna, de Pierre Corneille.
© 2024 Matthieu Binder. Réalisation Thomas Grimaud.