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Le Cid

 

 

Don Diègue, père de Don Rodrigue s’est fâché avec le comte (père de Chimène), et celui-ci la giflé. Comme don Diègue est trop vieux pour se battre, il demande à son fils de laver son honneur à sa place. Rodrigue n’hésite pas longtemps…

Audio : Gérard Philipe dans le rôle de Don Rodrigue.

 

Acte II, Scène 2.

DON RODRIGUE, LE COMTE.

 

DON RODRIGUE

À moi, comte, deux mots.

 

LE COMTE

Parle.

 

DON RODRIGUE

Ôte-moi d’un doute.

Connais-tu bien Don Diègue ?

 

LE COMTE

Oui.

 

DON RODRIGUE

Parlons bas ; écoute.

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,

La vaillance et l’honneur de son temps ? le sais-tu ?

 

LE COMTE

Peut-être.

 

DON RODRIGUE

Cette ardeur que dans les yeux je porte,

Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ?

 

LE COMTE

Que m’importe ?

 

DON RODRIGUE

À quatre pas d’ici je te le fais savoir.

 

LE COMTE

Jeune présomptueux !

 

DON RODRIGUE

Parle sans t’émouvoir.

Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeur n’attend point le nombre des années.

 

LE COMTE

Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vain,

Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main !

 

DON RODRIGUE

Mes pareils à deux fois ne se font point connaître,

Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.

 

LE COMTE

Sais-tu bien qui je suis ?

 

DON RODRIGUE

Oui ; tout autre que moi

Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi.

Les palmes dont je vois ta tête si couverte

Semblent porter écrit le destin de ma perte.

J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur,

Mais j’aurai trop de force, ayant trop de cœur.

À qui venge son père il n’est rien d’impossible.

Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

 

LE COMTE

Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens

Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens ;

Et croyant voir en toi l’honneur de la Castille,

Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.

Je sais ta passion, et suis ravi de voir

Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir ;

Qu’ils n’ont point affaibli cette ardeur magnanime ;

Que ta haute vertu répond à mon estime ;

Et que, voulant pour gendre un cavalier parfait,

Je ne me trompais point au choix que j’avais fait.

Mais je sens que pour toi ma pitié s’intéresse ;

J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.

Ne cherche point à faire un coup d’essai fatal ;

Dispense ma valeur d’un combat inégal ;

Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire :

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

On te croirait toujours abattu sans effort ;

Et j’aurais seulement le regret de ta mort.

 

DON RODRIGUE

D’une indigne pitié ton audace est suivie :

Qui m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie !

 

LE COMTE

Retire-toi d’ici.

 

DON RODRIGUE

Marchons sans discourir.

 

LE COMTE

Es-tu si las de vivre ?

 

DON RODRIGUE

As-tu peur de mourir ?

 

LE COMTE

Viens, fais ton devoir, et le fils dégénère

Qui survit un moment à l’honneur de son père.

 

 

***

 

Extrait de Le Cid, de Pierre Corneille.