Rodogune
Cléopâtre (une autre que la dernière reine d’Égypte) a promis la couronne à celui de ses fils (Antiochus et Séleucus) qui tuera la princesse Rodogune -dont ils sont tous les deux amoureux. Sans savoir la haine de Cléopâtre à son égard, la princesse veut se venger d’elle car elle a tué son amant (père d’Antiochus et de Séleucus). Les deux frères sont pris dans un étau.
ACTE III, SCENE 4 (extrait)
RODOGUNE.
Eh bien donc ! Il est temps de me faire connaître.
J’obéis à mon roi, puisqu’un de vous doit l’être ;
Mais quand j’aurai parlé, si vous vous en plaignez,
J’atteste tous les dieux que vous m’y contraignez,
Et que c’est malgré moi qu’à moi-même rendue
J’écoute une chaleur qui m’était défendue ;
Qu’un devoir rappelé me rend un souvenir
Que la foi des traités ne doit plus retenir.
Tremblez, princes, tremblez au nom de votre père :
Il est mort, et pour moi, par les mains d’une mère.
Je l’avais oublié, sujette à d’autres lois ;
Mais libre, je lui rends enfin ce que je dois.
C’est à vous de choisir mon amour ou ma haine.
J’aime les fils du roi, je hais ceux de la reine :
Réglez-vous là-dessus ; et sans plus me presser,
Voyez auquel des deux vous voulez renoncer.
Il faut prendre parti, mon choix suivra le vôtre :
Je respecte autant l’un que je déteste l’autre ;
Mais ce que j’aime en vous du sang de ce grand roi,
S’il n’est digne de lui, n’est pas digne de moi.
Ce sang que vous portez, ce trône qu’il vous laisse,
Valent bien que pour lui votre cœur s’intéresse :
Votre gloire le veut, l’amour vous le prescrit.
Qui peut contre elle et lui soulever votre esprit ?
Si vous leur préférez une mère cruelle,
Soyez cruels, ingrats, parricides comme elle.
Vous devez la punir, si vous la condamnez ;
Vous devez l’imiter, si vous la soutenez.
Quoi ? Cette ardeur s’éteint ! L’un et l’autre soupire !
J’avais su le prévoir, j’avais su le prédire…
ANTIOCHUS.
Princesse…
RODOGUNE.
Il n’est plus temps, le mot en est lâché.
Quand j’ai voulu me taire, en vain je l’ai tâché.
Appelez ce devoir haine, rigueur, colère :
Pour gagner Rodogune il faut venger un père ;
Je me donne à ce prix : osez me mériter,
Et voyez qui de vous daignera m’accepter.
Adieu, princes.
***
Extrait de Rodogune, de Pierre Corneille.
© 2024 Matthieu Binder. Réalisation Thomas Grimaud.