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Suréna

 

Eurydice et Suréna s’aiment, mais malgré leur rang social, il sont utilisés comme des marionnettes par le roi Orode qui n’a que faire de leurs sentiments…

 

ACTE 1, SCENE 1 (extrait).

 

EURYDICE.

(…)

On m’amène épouser un prince magnanime ;

Car son mérite enfin ne m’est point inconnu,

Et se ferait aimer d’un cœur moins prévenu ;

Mais quand ce cœur est pris et la place occupée,

Des vertus d’un rival en vain l’âme est frappée :

Tout ce qu’il a d’aimable importune les yeux ;

Et plus il est parfait, plus il est odieux.

Cependant j’obéis, Ormène : je l’épouse,

Et de plus…

 

ORMÈNE.

Qu’auriez-vous de plus ?

 

EURYDICE.

Je suis jalouse.

 

ORMÈNE.

Jalouse ! Quoi ? pour comble aux maux dont je vous plains…

 

EURYDICE.

Tu vois ceux que je souffre, apprends ceux que je crains.

Orode fait venir la princesse sa fille ;

Et s’il veut de mon bien enrichir sa famille,

S’il veut qu’un double hymen honore un même jour,

Conçois mes déplaisirs : je t’ai dit mon amour.

C’est bien assez, ô ciel ! que le pouvoir suprême

Me livre en d’autres bras aux yeux de ce que j’aime :

Ne me condamne pas à ce nouvel ennui

De voir tout ce que j’aime entre les bras d’autrui.

 

ORMÈNE.

Votre douleur, Madame, est trop ingénieuse.

 

EURYDICE.

Quand on a commencé de se voir malheureuse,

Rien ne s’offre à nos yeux qui ne fasse trembler :

La plus fausse apparence a droit de nous troubler ;

Et tout ce qu’on prévoit, tout ce qu’on s’imagine,

Forme un nouveau poison pour une âme chagrine.

 

***

Extrait de Suréna, de Pierre Corneille.