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Suréna

 

Eurydice et Suréna s’aiment, mais malgré leur rang social, il sont utilisés comme des marionnettes par le roi Orode qui n’a que faire de leurs sentiments. Au-delà d’une mise en scène de la raison d’État, Corneille laisse paraître ici une critique de la jalousie inhérente au pouvoir…

 

Acte V, Scène II (extrait).

 

EURYDICE.

Seigneur, le Roi condamne

Ma main à Pacorus, ou la vôtre à Mandane ;

Le refus n’en saurait demeurer impuni :

Il lui faut l’une ou l’autre, ou vous êtes banni.

 

SURÉNA.

Madame, ce refus n’est point vers lui mon crime ;

Vous m’aimez : ce n’est point non plus ce qui l’anime.

Mon crime véritable est d’avoir aujourd’hui

Plus de nom que mon roi, plus de vertu que lui ;

Et c’est de là que part cette secrète haine

Que le temps ne rendra que plus forte et plus pleine.

Plus on sert des ingrats, plus on s’en fait haïr :

Tout ce qu’on fait pour eux ne fait que nous trahir.

Mon visage l’offense, et ma gloire le blesse.

Jusqu’au fond de mon âme il cherche une bassesse,

Et tâche à s’ériger par l’offre ou par la peur,

De roi que je l’ai fait, en tyran de mon cœur ;

Comme si par ses dons il pouvait me séduire,

Ou qu’il pût m’accabler, et ne se point détruire.

Je lui dois en sujet tout mon sang, tout mon bien ;

Mais si je lui dois tout, mon cœur ne lui doit rien,

Et n’en reçoit de lois que comme autant d’outrages,

Comme autant d’attentats sur de plus doux hommages.

Cependant pour jamais il faut nous séparer,

Madame.

 

EURYDICE.

Cet exil pourrait toujours durer ?

 

SURÉNA.

En vain pour mes pareils leur vertu sollicite :

Jamais un envieux ne pardonne au mérite.

Cet exil toutefois n’est pas un long malheur ;

Et je n’irai pas loin sans mourir de douleur.

 

EURYDICE.

Ah ! craignez de m’en voir assez persuadée

Pour mourir avant vous de cette seule idée.

Vivez, si vous m’aimez.

 

SURÉNA.

Je vivrais pour savoir

Que vous aurez enfin rempli votre devoir,

Que d’un cœur tout à moi, que de votre personne

Pacorus sera maître, ou plutôt sa couronne !

Ce penser m’assassine, et je cours de ce pas

Beaucoup moins à l’exil, Madame, qu’au trépas.

 

***

Extrait de Suréna, de Pierre Corneille.