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Le Comte de Monte-Cristo

Evadé des geôles du château d’If où il était injustement enfermé, Edmond Dantès se rend sur l’île de Monte-Cristo. D’après son codétenu l’abbé Faria, un trésor fabuleux y est enterré. Le vieil abbé fabulait-il ? C’est le moment de vérité !

 

— Hélas ! se dit Edmond en souriant, voilà sans doute tous les trésors qu’aura laissés le cardinal ; et ce bon abbé, en voyant en rêve ces murs tout resplendissants, se sera entretenu dans ses riches espérances.

Mais Dantès se rappela les termes du testament, qu’il savait par cœur : « Dans l’angle le plus éloigné de la seconde ouverture, » disait ce testament.

Dantès avait pénétré seulement dans la première grotte, il fallait chercher maintenant l’entrée de la seconde.

Dantès s’orienta : cette seconde grotte devait naturellement s’enfoncer dans l’intérieur de l’île ; il examina les souches des pierres, et il alla frapper à une des parois qui lui parut celle où devait être cette ouverture, masquée sans doute pour plus grande précaution.

La pioche résonna pendant un instant, tirant du rocher un son mat dont la compacité faisait germer la sueur au front de Dantès ; enfin il sembla au mineur persévérant qu’une portion de la muraille granitique répondait par un écho plus sourd et plus profond à l’appel qui lui était fait ; il rapprocha son regard ardent de la muraille et reconnut, avec le tact du prisonnier, ce que nul autre n’eût reconnu peut-être : c’est qu’il devait y avoir là une ouverture.

Cependant, pour ne pas faire une besogne inutile, Dantès qui, comme César Borgia, avait étudié le prix du temps, sonda les autres parois avec sa pioche, interrogea le sol avec la crosse de son fusil, ouvrit le sable aux endroits suspects, et n’ayant rien trouvé, rien reconnu, revint à la portion de la muraille qui rendait ce son consolateur.

Il frappa de nouveau et avec plus de force.

Alors il vit une chose singulière, c’est que, sous les coups de l’instrument, une espèce d’enduit, pareil à celui qu’on applique sur les murailles pour peindre à fresque, se soulevait et tombait en écailles, découvrant une pierre blanchâtre et molle, pareille à nos pierres de taille ordinaires. On avait fermé l’ouverture du rocher avec des pierres d’une autre nature, puis on avait étendu sur ces pierres cet enduit, puis sur cet enduit on avait imité la teinte et le cristallin du granit.

Dantès frappa alors par le bout aigu de la pioche, qui entra d’un pouce dans la porte-muraille.

C’était là qu’il fallait fouiller.

Par un mystère étrange de l’organisation humaine, plus les preuves que Faria ne s’était pas trompé devaient en s’accumulant rassurer Dantès, plus son cœur défaillant se laissait aller au doute et presque au découragement : cette nouvelle expérience, qui aurait dû lui donner une force nouvelle, lui ôta la force qui lui restait : la pioche descendit, s’échappant presque de ses mains ; il la posa sur le sol, s’essuya le front et remonta vers le jour, se donnant à lui-même le prétexte de voir si personne ne l’épiait, mais, en réalité, parce qu’il avait besoin d’air, parce qu’il sentait qu’il allait s’évanouir.

L’île était déserte, et le soleil à son zénith semblait la couvrir de son œil de feu ; au loin, de petites barques de pêcheurs ouvraient leurs ailes sur la mer d’un bleu de saphir.

Dantès n’avait encore rien pris : mais c’était bien long de manger dans un pareil moment ; il avala une gorgée de rhum et rentra dans la grotte le cœur raffermi.

La pioche qui lui avait semblé si lourde était redevenue légère ; il la souleva comme il eût fait d’une plume, et se remit vigoureusement à la besogne.

Après quelques coups il s’aperçut que les pierres n’étaient point scellées, mais seulement posées les unes sur les autres et recouvertes de l’enduit dont nous avons parlé ; il introduisit dans une des fissures la pointe de la pioche, pesa sur le manche et vit avec joie la pierre rouler sur des gonds et tomber à ses pieds.

Dès lors Dantès n’eut plus qu’à tirer chaque pierre à lui avec la dent de fer de la pioche, et chaque pierre à son tour roula près de la première.

Dès la première ouverture, Dantès eut pu entrer ; mais en tardant de quelques instants c’était retarder la certitude en se cramponnant à l’espérance.

Enfin, après une nouvelle hésitation d’un instant, Dantès passa de cette première grotte dans la seconde.

Cette seconde grotte était plus basse, plus sombre et d’un aspect plus effrayant que la première ; l’air, qui n’y pénétrait que par l’ouverture pratiquée à l’instant même, avait cette odeur méphitique que Dantès s’était étonné de ne pas trouver dans la première. Dantès donna le temps à l’air extérieur d’aller raviver cette atmosphère morte, et entra.

À gauche de l’ouverture, était un angle profond et sombre.

Mais, nous l’avons dit, pour l’œil de Dantès il n’y avait pas de ténèbres.

Il sonda du regard la seconde grotte : elle était vide comme la première.

Le trésor, s’il existait, était enterré dans cet angle sombre.

L’heure de l’angoisse était arrivée ; deux pieds de terre à fouiller, c’était tout ce qui restait à Dantès entre la suprême joie et le suprême désespoir.

Il s’avança vers l’angle, et, comme pris d’une résolution subite, il attaqua le sol hardiment.

Au cinquième ou sixième coup de pioche le fer résonna sur du fer.

Jamais tocsin funèbre, jamais glas frémissant ne produisit pareil effet sur celui qui l’entendit. Dantès n’aurait rien rencontré qu’il ne fût certes pas devenu plus pâle.

Il sonda à côté de l’endroit où il avait sondé déjà, et rencontra la même résistance mais non pas le même son.

— C’est un coffre de bois, cerclé de fer, dit-il.

 

***

 

  Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1844-45 (paru en feuilleton).