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Comédie romantique

 

Jusqu’à quel point peut-on jouer la comédie de l’amour ? Le pauvre Horace, héros du roman éponyme de George Sand, se prend à son propre jeu, se fabrique une vie infernale, pour éviter de regarder en face une réalité trop prosaïque et sans relief.

 

« Mon pauvre camarade, dit-il à Horace un jour que celui-ci invoquait encore son intervention, je ne peux pas vous laisser ignorer davantage que je ne m’intéresse plus du tout à vos amours. Je suis fatigué de voir d’un côté une folie et de l’autre une faiblesse incurable. Je devrais dire peut-être faiblesse et folie de part et d’autre ; car il y a de la monomanie chez Marthe, à vous aimer si constamment, et chez vous il y a une faiblesse misérable dans toutes ces parades de violence dont vous nous régalez. Je vous ai cru d’abord égoïste, et puis je vous ai cru bon. Maintenant je vois que vous n’êtes ni bon ni mauvais ; vous êtes froid, et vous aimez à vous démener dans un orage de passions factices ; vous avez une nature de comédien. Quand nous sommes là à nous émouvoir de vos trépignements, de vos déclamations et de vos sanglots, vous vous amusez à nos dépens, j’en suis certain. Oh ! ne vous fâchez pas, ne roulez pas les yeux comme Bocage dans Buridan, et ne serrez pas le poing. J’ai vu cela si souvent, qu’à tout ce que vous pourriez faire ou dire je répondrais connu ! Je suis un spectateur usé, et désormais aussi froid qu’un homme qui a ses entrées au théâtre. Je sais que vous êtes puissant dans le drame ; mais je sais toutes vos pièces par cœur. Si vous voulez que je vous écoute, reprenez votre sérieux, jetez votre poignard, et parlez-moi raison. Dites-moi prosaïquement que vous n’aimez plus votre maîtresse parce qu’elle vous ennuie, et autorisez-moi à le lui faire comprendre avec tous les égards et les ménagements qui lui sont dus. C’est alors seulement que je vous rendrai mon estime et que je vous croirai un homme d’honneur. »

 

 

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George Sand, Horace, 1841 (Ch. 21)