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Déformations littéraires

 

Tout en articulant avec beaucoup de finesse la dialectique des classes sociales dans Paris pré-révolutionnaire, Horace met en scène avec beaucoup d’humour les travers d’une génération romantique profondément marquée par des lectures donnant aux femmes des visages divers et parfois contraires…

 

Horace ayant une des imaginations les plus impressionnables de cette époque si impressionnable déjà, vivant plus de fiction que de réalité, regardait sa nouvelle maîtresse à travers les différents types que ses lectures lui avaient laissés dans la tête. Mais quoique ce fussent des types charmants dans les poèmes et dans les romans, ce n’étaient point des types vrais et vivants dans la réalité présente. C’étaient des fantômes du passé, riants ou terribles. Alfred de Musset avait pris pour épigraphe de ses belles esquisses le mot de Shakspeare : Perfide comme l’onde ; et quand il traçait des formes plus pures et plus idéales, habitué à voir dans les femmes de tous les temps les dangereuses filles d’Eve, il flottait entre un coloris frais et candide et des teintes sombres et changeantes qui témoignaient de sa propre irrésolution. Ce poëte enfant avait une immense influence sur le cerveau d’Horace. Quand celui-ci venait de lire Portia ou la Camargo, il voulait que la pauvre Marthe fût l’une ou l’autre. Le lendemain, après un feuilleton de Janin, il fallait qu’elle devînt à ses yeux une élégante et coquette patricienne. Enfin, après les chroniques romantiques d’Alexandre Dumas, c’était une tigresse qu’il fallait traiter en tigre ; et après la Peau de chagrin de Balzac, c’était une mystérieuse beauté dont chaque regard et chaque mot recelait de profonds abîmes.

 

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George Sand, Horace, 1841 (Ch. 18)