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« Ô douceur décevante »

 

Marguerite de Navarre avait consacré un long poème (La Coche) à l’amitié féminine. Un manuscrit retrouvé bien après sa mort nous fait entendre, en contrepoint, les blessures laissées par l’amitié trahie.

 

Amitié, quoi ! ô mot signifiant

Tout l’heur[1] et bien dont un cœur peut jouir,

Car un ami d’un ami se fiant,

Sûr et parfait, se doit bien réjouir.

 

Rompre amitié : il ne le saurait faire,

Et n’est moyen pour en être délivré,

Fors[2] l’amitié en soi-même défaire,

En mettant fin à ce malheureux vivre[3].

 

Tant plus amour est digne et précieuse,

Cent mille fois est plus mal gracieuse,

Quand il retient le nom et perd l’effet.

Ô amitié couverte[4] et décevable[5],

Dont le nom seul plaisait à ma mémoire,

Vous m’êtes trop horrible et effroyable,

Puisque j’ai vu ce que je ne pouvais croire.

 

Ô forte amour, ô douceur décevante,

Qui tant savez à tous nuire et grever[6],

Vous avez mis, de cela je me vante,

Mon cœur tout prêt à mourir et crever.

 

 

***

 

Marguerite de Navarre, poème retrouvé en 1895 et publié l’année suivante dans Les dernières poésies de Marguerite de Navarre. Orthographe modernisée.

 

[1] le bonheur

[2] hors

[3] le vivre : la vie

[4] fausse, dissimulée

[5] trompeuse

[6] blesser, accabler