La Comédie de Mont-de-Marsan
Faut-il brimer son corps pour s’élever spirituellement ? C’est l’opinion de « la superstitieuse ». Mais bientôt un personnage s’oppose à cette haine de soi artificielle : d’après « la sage », il n’y a de salut que par la joie.
Personnages : La mondaine, la superstitieuse, la sage, la bergère.
LA SUPERSTITIEUSE
Je me juge bien pécheresse
Et que je faillis, mais si[1] est ce
Que ne suis paillard’ ni meurtrière.
J’en loue le Dieu de bonté,
Pour lequel mon corps j’ai dompté
Tant qu’il ne se peut soutenir.
Je le bats, je le fais jeûner
Et en voyage cheminer,
Et de tous plaisirs abstenir.
LA SAGE
N’espérez pour ce rien gagner
Pour votre corps en sang baigner,
Ou faire sur le feu rôtir ;
Car, si votre cœur n’est joyeux
Et charitable et amoureux,
A Dieu ne faites que mentir.
Dieu regarde du cœur le fond.
Vos peines, voyages et dons
Faits sans charité il déprise[2].
Car lui qui est d’amour vrai, Dieu
Veut le cœur brûler de son feu,
Ainsi qu’humilité le brise.
Car, s’il n’est bien humilié
Et par amour à lui lié,
Rien ne sert votre barboutter[3],
Et si en Dieu vous ne trouvez
Et sa présence n’éprouvez,
Vous avez beau partout trotter.
Et voyez vous cette mondaine
Qui à bien faire n’a pris peine ?
Je dis que sous péché infâme,
Duquel elle a la connaissance,
A par humilité puissance
Être de Dieu amie et femme.
Voyant Celui qui lui pardonne,
Elle l’aime d’une amour bonne
Et d’une charité ardente.
Elle est plus près de Dieu toucher
Que vous qui cuidez[4] le chercher
Par une fidélité lente.
***
Extrait de La Comédie de Mont-de-Marsan, de Marguerite de Navarre (jouée en 1548, publiée en 1896). Orthographe modernisée.
[1] pourtant
[2] Il dédaigne.
[3] bavardage confus.
[4] croyez
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