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« Le dirai-je… »

 

Les dernières poésies de Marguerite de Navarre sont d’une facture toujours plus personnelle, mais elles traduisent aussi l’impossibilité croissante de dire ce qui importe le plus, l’inanité de l’écriture et la nécessité du silence.

 

Pourrai-je bien ma faible main contraindre

De s’essayer sur ce papier écrire

L’ennui[1] que j’ai tant désiré de feindre,

Dont le souffrir me plaît mieux que le dire.

 

Le dirai-je, le pourrai-je décrire

Par cet écrit ? Non, car le pensement[2]

En est si grand, que la partie moindre

Je n’en saurais déclarer vivement.

 

Et qui plus est, le cruel sentement[3]

De ma douleur navre mon cœur si fort,

Que le penser n’approche nullement

Du mal qui fait en moi son dur effort.

 

Si fausse amour, remplie de poison

De doux parler, fait si bien la pratique,

Taire et souffrir seront mon oraison,

Car vérité ne cherche rhétorique.

 

J’aime trop mieux mon mal doucement boire,

Que par écrit jamais l’on puisse entendre

De notre cas tant malheureux l’histoire,

Fuyant l’honneur que j’en pourrais attendre.

Car vraie amour plutôt se tourne en cendre,

En s’oubliant, que de faire dommage

A son ami, désirant toujours rendre

Pour peine et mal, honneur et avantage.

 

***

 

Extraits d’un poème de Marguerite de Navarre, retrouvé en 1895 et publié l’année suivante dans Les dernières poésies de Marguerite de Navarre. Orthographe modernisée.

 

[1] la douleur, le tourment

[2] la pensée

[3] sensation