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La dormeuse

A Lucien Fabre

 

Quels secrets dans son cœur brûle ma jeune amie,

Âme par le doux masque aspirant une fleur ?

De quels vains aliments sa naïve chaleur

Fait ce rayonnement d’une femme endormie ?

 

Souffles, songes, silence, invincible accalmie,

Tu triomphes, ô paix plus puissante qu’un pleur,

Quand de ce plein sommeil l’onde grave et l’ampleur

Conspirent sur le sein d’une telle ennemie.

 

Dormeuse, amas doré d’ombres et d’abandons,

Ton repos redoutable est chargé de tels dons,

Ô biche avec langueur longue auprès d’une grappe,

 

Que malgré l’âme absente, occupée aux enfers,

Ta forme au ventre pur qu’un bras fluide drape,

Veille ; ta forme veille, et mes yeux sont ouverts.

 

 

***

 

Paul Valéry, Charmes, 1922.