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Les alliances

 

 Le Quart Livre, ch. IX

 

 

Au cours de son voyage initatique, Pantagruel débarque sur une île étrange, l’île des Alliances, dont les habitants n’ont pas de lien de parenté. Du coup, les gens entretiennent des drôles de relations, qui s’expriment par la fantaisie des métaphores, ce qui donne au récit une allure presque surréaliste.

 

Texte original

« Leurs parentés et alliances étaient de façon bien étrange. Car étant ainsi tous parents et alliés l’un de l’autre, nous trouvâmes que personne d’eux n’était père ne mère, frère ne sœur, oncle ne tante, cousin ne neveu, gendre ne bru, parrain ne marraine de l’autre. Sinon vraiment un grand vieillard enasé lequel, comme je vis, appela une petite fille âgée de trois ou quatre ans, mon père : la petite fillette le appelait ma fille. La parenté et alliance entre eux, était que l’un appelait une femme, ma maigre : la femme le appelait mon marsouin, « Ceux-là (disait frère Jean) devraient bien sentir leur marée, quand ensemble se sont frottés leur lard. »(…)

Un autre salua une sienne alliée disant. « Bon di, ma coingnée ». Elle répondit. « Et à vous mon manche. Ventre bœuf, s’écria Carpalim, comment cette coingnée est emmanchée. Comment ce manche est encoingné. (…) L’un appelait une autre ma mie, elle l’appelait ma croute. L’un une autre appelait sa palle, elle l’appelait son fourgon. L’un une autre appelait ma savate, elle le nommait pantophle. L’un un autre nommait ma bottine, elle l’appelait son estivallet. L’un une autre nommait sa mitaine, elle nommait mon gant. L’un une autre nommait sa couane, elle l’appelait son lard. Et était entre eux, parenté de couane de lard. En pareille alliance, l’un appelait une sienne mon homelaicte, elle le nommait mon œuf. Et étaient alliés comme une homelaicte d’œufs. »

 

 

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Adaptation en français moderne (version audio)

« Leurs parentés et alliances étaient constituées d’une façon bien étrange. Car étant ainsi tous parents et alliés les uns des autres, nous trouvâmes qu’aucun d’entre eux n’était père ni mère, frère ni sœur, oncle ni tante, cousin ni neveu, gendre ni bru, parrain ni marraine de l’autre. Sauf un grand vieillard sans nez qui, comme je vis, appela une petite fille âgée de trois ou quatre ans « mon père » : la petite fillette l’appelait « ma fille ». La parenté et alliance entre eux était de telle sorte que l’un appelait une femme, « ma maigre » : la femme l’appelait « mon marsouin ». « Ceux-là, disait frère Jean, doivent bien sentir leur marée, quand ensemble ils se sont frottés le lard. »

(…) Un autre salua une de ses alliées disant : « Bonjour, ma cognée ». Elle répondit : « Et à vous mon manche. » « Ventre bœuf, s’écria Carpalim, comment cette cognée est emmanchée. Comment ce manche est encogné ! » (…) L’un appelait l’autre ma mie, elle l’appelait ma croute. L’un appelait l’autre sa pelle, elle l’appelait son tisonnier. L’un appelait l’autre ma savate, elle le nommait pantoufle. L’un nommait l’autre ma jambière, elle l’appelait sa botte. L’un nommait l’autre sa mitaine, elle le nommait mon gant. L’un nommait l’autre sa couenne, elle l’appelait son lard. Et il y avait entre eux une parenté de couenne de lard. En pareille alliance, l’un appelait une femme mon omelette, elle le nommait mon œuf. Et ils étaient alliés comme une omelette d’œufs. »

 

 

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