Les peines de Monsieur, frère du Roi
Tome 3, chapitre 9.
« D’autres peines d’esprit le tourmentaient encore. Il avait depuis quelque temps un confesseur qui, bien que jésuite, le tenait de plus court qu’il pouvait ; c’était un gentilhomme de bon lieu et de Bretagne, qui s’appelait le Père du Trévoux. Il lui retrancha, non seulement d’étranges plaisirs, mais beaucoup de ceux qu’il se croyait permis, pour pénitence de sa vie passée. Il lui représentait fort souvent qu’il ne se voulait pas damner pour lui, et que, si sa conduite lui paraissait trop dure, il n’aurait nul déplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. À cela il ajoutait qu’il prît bien garde à lui, qu’il était vieux, usé de débauche, gras, court de cou, et que, selon toute apparence, il mourrait d’apoplexie, et bientôt. C’étaient là d’épouvantables paroles pour un prince le plus voluptueux et le plus attaché à la vie qu’on eût vu de longtemps, qui l’avait toujours passée dans la plus molle oisiveté, et qui était le plus incapable par nature d’aucune application, d’aucune lecture sérieuse, ni de rentrer en lui-même. Il craignait le diable, il se souvenait que son précédent confesseur n’avait pas voulu mourir dans cet emploi, et qu’avant sa mort il lui avait tenu les mêmes discours. L’impression qu’ils lui firent le forcèrent de rentrer un peu en lui-même, et de vivre d’une manière qui depuis quelque temps pouvait passer pour serrée à son égard. Il faisait à reprises beaucoup de prières, obéissait, à son confesseur, lui rendait compte de la conduite qu’il lui avait prescrite sur son jeu, sur ses autres dépenses, et sur bien d’autres choses, souffrait avec patience ses fréquents entretiens, et y réfléchissait beaucoup. Il en devint triste, abattu, et parla moins qu’à l’ordinaire, c’est-à-dire encore comme trois ou quatre femmes, en sorte que tout le monde s’aperçut bientôt de ce grand changement. C’en était bien à la fois que ces peines intérieures, et les extérieures du côté du roi, pour un homme aussi faible que Monsieur, et aussi nouveau à se contraindre, à être fâché et à le soutenir ; et il était difficile que cela ne fit bientôt une grande révolution dans un corps aussi plein et aussi grand mangeur, non seulement à ses repas, mais presque toute la journée. »
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