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Nana

 

  

Sortant de la misère, entretenue par le comte Muffat et par ses amants qui se ruinent pour elle, Nana jouit de ces richesses avec la Satin, qui l’a initiée au sexe entre femmes.

 

Elles fermèrent la fenêtre. En se retournant, Nana, grelottante, les cheveux mouillés, resta un instant saisie devant son salon, comme si elle avait oublié et qu’elle fût rentrée dans un endroit inconnu. Elle retrouvait là un air si tiède, si parfumé, qu’elle en éprouvait une surprise heureuse. Les richesses entassées, les meubles anciens, les étoffes de soie et d’or, les ivoires, les bronzes, dormaient dans la lumière rose des lampes ; tandis que, de tout l’hôtel muet, montait la sensation pleine d’un grand luxe, la solennité des salons de réception, l’ampleur confortable de la salle à manger, le recueillement du vaste escalier, avec la douceur des tapis et des sièges. C’était un élargissement brusque d’elle-même, de ses besoins de domination et de jouissance, de son envie de tout avoir pour tout détruire. Jamais elle n’avait senti si profondément la force de son sexe. Elle promena un lent regard, elle dit d’un air de grave philosophie :

— Ah bien ! on a tout de même joliment raison de profiter, quand on est jeune !

Mais déjà Satin, sur les peaux d’ours de la chambre à coucher, se roulait et l’appelait.

— Viens donc ! viens donc !

Nana se déshabilla dans le cabinet de toilette. Pour aller plus vite, elle avait pris à deux mains son épaisse chevelure blonde, et elle la secouait au-dessus de la cuvette d’argent, pendant qu’une grêle de longues épingles tombaient, sonnant un carillon sur le métal clair.

 

***

 

 Émile Zola, Nana (1880)