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Le Mariage de Figaro

Préface

Avant de pouvoir être monté sur scène, Le Mariage de Figaro a eu maille à partir avec la censure, qui n’entendait pas laisser un auteur rire de la noblesse, de l’institution judiciaire, et critiquer l’injustice faite aux femmes. Dans sa préface, Beaumarchais se défend en assumant une conception de la comédie qui montre à découvert les vices et les abus.

 

J’ai pensé, je pense encore, qu’on n’obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des situations fortes, et qui naissent toujours d’une disconvenance sociale, dans le sujet qu’on veut traiter. L’auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce : les conspirations, l’usurpation du trône, le meurtre, l’empoisonnement, l’inceste, dans Œdipe et Phèdre ; le fratricide, dans Vendôme ; le parricide, dans Mahomet ; le régicide, dans Macbeth, etc. (…)

Mais, parce que les personnages d’une pièce s’y montrent sous des mœurs vicieuses, faut-il les bannir de la scène ? Que poursuivrait-on au théâtre ? Les travers et les ridicules ? Cela vaut bien la peine d’écrire ! Ils sont chez nous comme les modes : on ne s’en corrige point, on en change.

Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille formes sous le masque des mœurs dominantes : leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche de l’homme qui se voue au théâtre. Soit qu’il moralise en riant, soit qu’il pleure en moralisant, Héraclite ou Démocrite, il n’a pas un autre devoir : malheur à lui, s’il s’en écarte ! On ne peut corriger les hommes qu’en les faisant voir tels qu’ils sont. La comédie utile et véridique n’est point un éloge menteur, un vain discours d’académie.

Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles buts de l’art, avec la satire odieuse et personnelle : l’avantage de la première est de corriger sans blesser.

 

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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784). Préface (extrait).