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Note conjointe

Extrait.

 Avoir la paix, le grand mot de toutes les lâchetés civiques et intellectuelles. Tant que le présent est présent, tant que la vie est vivante, tant que la liberté est libre elle est bien embêtante, elle fait la guerre. On parle d’elle ; et il faut que l’on en parle. C’est même le moment d’en parler. Si seulement le présent est passé, tout s’apaise.

On n’en entend plus parler.

Et au fond c’est ce que tout le monde veut.

On a la paix.

Telle est la grande tentation offerte à la paresse intellectuelle, et à la nommée sagesse, et à la nommée prudence.

Et à la sainte épargne et à la sainte économie. Et surtout à la morale, qui profite toujours. (…)

En réalité tout ce grand besoin de fixer l’esprit est un besoin de paresse et l’expression même de la paresse intellectuelle. Ils veulent avant tout être tranquilles. Ils veulent avant tout être sédentaires. Cette même tentation de paresse, cette même fatigue, ce même besoin de tranquillité pour demain qui les fait tous fonctionnaires est le même aussi qui les fait tous intellectuels. De même qu’ils courent tous après les chaires, non point parce qu’on y enseigne, mais parce qu’on y est assis, de même ils veulent avant tout une philosophie, un système de pensée, un système de connaissance où on est assis.

Ce qu’ils nomment la bonne ordonnance de la pensée, c’est la tranquillité du penseur.

Seulement il faudrait savoir si c’est le connaissable qui a été fait pour la commodité du connaisseur ou le connaisseur qui doit se faire pour la connaissance du connaissable.

Et plus généralement si le monde a été fait pour la commodité de l’homme.

 

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Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne (posthume). Extrait.