Littératurefrançaise.net

La Chatte

Entre Alain et sa chatte Saha s’est nouée une relation d’amour. La jeune femme d’Alain découvre peu à peu sa rivale…

 

 « Pas ici, pas ici… », martelait Alain au rythme de son pas. Il cherchait Saha et ne voulait pas l’appeler à pleine voix, il la rencontra couchée sur le petit mur bas qui étayait une butte bleue, couverte de lobélias. Elle dormait ou paraissait dormir, roulée en turban. « En turban ? A cette heure et par ce temps ? C’est une posture d’hiver, le sommeil en turban… »

— Saha chérie !

Elle ne tressaillit pas quand il la prit et l’éleva en l’air, et elle ouvrait des yeux caves, très beaux, presque indifférents.

— Mon Dieu, que tu es légère ! Mais tu es malade, mon petit puma !

Il l’emporta, rejoignit en courant sa mère et Camille.

— Mais, maman, Saha est malade ! Elle a mauvais poil, elle ne pèse rien, et vous ne me le dites pas !

— C’est qu’elle ne mange guère, dit Mme Amparat. Elle ne veut pas manger.

—- Elle ne mange pas, et quoi encore ?

Il berçait la chatte contre sa poitrine et Saha s’abandonnait, le souffle court et les narines sèches. Les yeux de Mme Amparat, sous ses grosses frisures blanches, passèrent intelligemment sur Camille.

— Et puis rien, dit-elle.

— Elle s’ennuie de toi, dit Camille. C’est ta chatte, n’est-ce pas ?

Il crut qu’elle se moquait et releva la tête avec défi. Mais Camille n’avait pas changé de visage et considérait curieusement Saha, qui sous sa main referma les yeux.

— Touche ses oreilles, dit brusquement Alain, elles sont brûlantes.

Il ne réfléchit qu’un instant.

— Bon. Je l’emmène : Maman, faites-moi donner son panier, voulez-vous ? Et un sac de sable pour le plat. Pour le reste, nous avons tout ce qu’il faut. Vous comprenez que je ne veux absolument pas… Cette chatte croit que…

Il s’interrompit et se tourna tardivement vers sa femme.

— Ça ne te gêne pas, Camille, que je prenne Saha en attendant que nous revenions ici ?

 — Quelle question !… Mais où comptes-tu l’installer la nuit ? ajouta-t-elle, si naïvement qu’Alain rougit à cause de la présence de sa mère, et qu’il répondit d’un ton sec :

— Elle choisira.

 

 

***

 

Colette, La Chatte, 1933.