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A Sophie Volland

 

C’est une chose singulière que la conversation, surtout lorsque la compagnie est un peu nombreuse. Voyez les circuits que nous avons faits ; les rêves d’un malade en délire ne sont pas plus hétéroclites. Cependant, comme il n’y a rien de décousu ni dans la tête d’un homme qui rêve, ni dans celle d’un fou, tout se tient aussi dans la conversation ; mais il serait quelquefois bien difficile de retrouver les chaînons imperceptibles qui ont attiré tant d’idées disparates. Un homme jette un mot qu’il détache de ce qui a précédé et suivi dans sa tête ; un autre en fait autant, et puis attrape qui pourra. Une seule qualité physique peut conduire l’esprit qui s’en occupe à une infinité de choses diverses. Prenons une couleur, le jaune, par exemple : l’or est jaune, la soie est jaune, le souci est jaune, la bile est jaune, la paille est jaune ; à combien d’autres fils ce fil ne répond-il pas ? La folie, le rêve, le décousu de la conversation consistent à passer d’un objet à un autre par l’entremise d’une qualité commune.

 

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Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland du 20 octobre 1760 (extrait).