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Le Poète assassiné

 

Le Poète assassiné est un recueil de contes de Guillaume Apollinaire, paru en 1916. Le dernier récit, qui a donné son titre au recueil, raconte les aventures de Croniamantal, poète, en mêlant théâtre, poésie, roman picaresque, dans la plus grande fantaisie. Dans cet extrait du chapitre 10, Croniamental présente à l’oiseau du Bénin (Picasso), ses dernières innovations littéraires.

 

Croniamantal se tut un instant puis il ajouta :

 

— Je n’écrirai plus qu’une poésie libre de toute entrave serait-ce celle du langage :

Écoute, mon vieux !

 

MAHÉVIDANOMI RENANOCALIPNODITOC

EXTARTINAP + v. s.

A.Z.

Tel. : 33-122 Pan : Pan

OeaoiiiioKTin

iiiiiiiiiiii

 

— Ton dernier vers, mon pauvre Croniamantal, dit l’oiseau du Bénin, est un simple plagiat de Fr.nc.s J.mm.s.

 

— Ce n’est pas vrai, dit Croniamantal. Mais je ne composerai plus de poésie pure. Voilà où j’en suis par ta faute. Je veux faire du théâtre.

 

— Tu ferais mieux d’aller voir la jeune fille dont je t’ai parlé. Elle te connaît et semble folle de toi. Tu la trouveras au bois de Meudon jeudi prochain à l’endroit que je te dirai. Tu la reconnaîtras à la corde à jouer qu’elle tiendra à la main, elle se nomme Tristouse Ballerinette.

 

— Bien, dit Croniamantal, j’irai voir Ballerinette et coucherai avec elle, mais avant tout je veux aller chez les Théâtres pour y porter ma pièce Iéximal Jélimite que j’ai écrite dans ton atelier l’an dernier en mangeant des citrons.

 

— Fais ce que tu veux, mon ami, dit l’oiseau du Bénin, mais n’oublie pas Tristouse Ballerinette, ta femme à venir.

 

— Bien parlé, dit Croniamantal, mais je veux rugir une fois encore le sujet d’Iéximal Jélimite. Écoute :

Un homme achète un journal au bord de la mer. D’une maison située côté jardin sort un soldat dont les mains sont des ampoules électriques. D’un arbre descend un géant ayant trois mètres de haut. Il secoue la marchande de journaux qui est de plâtre et qui en tombant se brise. À ce moment survient un juge. À coups de rasoir il tue tout le monde, tandis qu’une jambe qui passe en sautillant assomme le juge d’un coup de pied sous le nez, et chante une jolie chansonnette.

— Quelle merveille ! dit l’oiseau du Bénin, je brosserai les décors, tu me l’as promis.

 

— Cela va sans dire, répondit Croniamantal.

 

***

 

 

Guillaume Apollinaire, Le Poète assassiné, 1916