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L’Esprit nouveau et les poètes

 

Le poète comme explorateur

 

Qu’est-ce que l’esprit nouveau qui se dégage de l’avant-garde de la poésie et des arts ? se demande Apollinaire dans cet article. Qu’est-ce qui caractérise l’esthétique qui est en train de naître ? La vision de Guillaume Apollinaire nous permet de comprendre ce qui est en jeu à ce moment crucial où l’art moderne se construit.

 

Il n’est pas besoin pour partir à la découverte de choisir à grand renfort de règles, même édictées par le goût, un fait classé comme sublime. On peut partir d’un fait quotidien : un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel il soulèvera tout un univers. On sait ce que la chute d’une pomme vue par Newton fut pour ce savant que l’on peut appeler un poète. C’est pourquoi le poète d’aujourd’hui ne méprise aucun mouvement de la nature, et son esprit poursuit la découverte aussi bien dans les synthèses les plus vastes et les plus insaisissables : foules, nébuleuses, océans, nations, que dans les faits en apparence les plus simples : une main qui fouille une poche, une allumette qui s’allume par le frottement, des cris d’animaux, l’odeur des jardins après la pluie, une flamme qui naît dans un foyer. Les poètes ne sont pas seulement les hommes du beau. Ils sont encore et surtout les hommes du vrai, en tant qu’il permet de pénétrer dans l’inconnu, si bien que la surprise, l’inattendu, est un des principaux ressorts de la poésie d’aujourd’hui. Et qui oserait dire que, pour ceux qui sont dignes de la joie, ce qui est nouveau ne soit pas beau ? Les autres se chargeront vite d’avilir cette nouveauté sublime, après quoi elle pourra entrer dans le domaine de la raison, mais seulement dans les limites où le poète, seul dispensateur du beau et du vrai, en aura fait la proposition.

Le poète, par la nature même de ces explorations, est isolé dans le monde nouveau où il entre le premier, et la seule consolation qu’il lui reste c’est que les hommes, finalement, ne vivant que de vérités, malgré les mensonges dont ils les matelassent, il se trouve que le poète seul nourrit la vie où l’humanité trouve cette vérité. C’est pourquoi les poètes modernes sont avant tout les poètes de la vérité toujours nouvelle. Et leur tâche est infinie ; ils vous ont surpris et vous surprendront plus encore. Ils imaginent déjà de plus profonds desseins que ceux qui machiavéliquement ont fait naître le signe utile et épouvantable de l’argent.

 

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Guillaume Apollinaire, « L’Esprit nouveau et les poètes », Mercure de France, 1918