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Si je mourais là-bas

 

Engagé volontaire dans la première guerre mondiale, Guillaume Apollinaire s’éprit d’une aventurière avide de plaisirs, de drogues, de sensations fortes, l’une des première aviatrices en France, Louise de Coligny. Tout en vivant avec lui une passion charnelle intense, Louise signifia à Guillaume qu’elle ne l’aimerait jamais. Le poète lui écrivit des lettres brûlantes, et des poèmes dans les lettres, que l’on publia plus tard sous le titre : Poèmes à Lou.

 

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée

Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée

Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt

Un obus éclatant sur le front de l’armée

Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

 

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace

Couvrirait de mon sang le monde tout entier

La mer les monts les vals et l’étoile qui passe

Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace

Comme font les fruits d’or autour de Baratier

 

Souvenir oublié vivant dans toutes choses

Je rougirais le bout de tes jolis seins roses

Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants

Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses

Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

 

Le fatal giclement de mon sang sur le monde

Donnerait au soleil plus de vive clarté

Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde

Un amour inouï descendrait sur le monde

L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

 

Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie

— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie

De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —

Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur

Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

 

O mon unique amour et ma grande folie

 

 

30 janvier 1915, Nîmes.

 

La nuit descend

On y pressent

Un long destin de sang