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Palme

A Jeannie

 

De sa grâce redoutable

Voilant à peine l’éclat,

Un ange met sur ma table

Le pain tendre, le lait plat ;

Il me fait de la paupière

Le signe d’une prière

Qui parle à ma vision :

— Calme, calme, reste calme !

Connais le poids d’une palme

Portant sa profusion !

 

(…)

 

Ces jours qui te semblent vides

Et perdus pour l’univers

Ont des racines avides

Qui travaillent les déserts.

La substance chevelue

Par les ténèbres élue

Ne peut s’arrêter jamais

Jusqu’aux entrailles du monde,

De poursuivre l’eau profonde

Que demandent les sommets.

 

Patience, patience,

Patience dans l’azur !

Chaque atome de silence

Est la chance d’un fruit mûr !

Viendra l’heureuse surprise :

Une colombe, la brise,

L’ébranlement le plus doux,

Une femme qui s’appuie,

Feront tomber cette pluie

Où l’on se jette à genoux !

 

Qu’un peuple à présent s’écroule,

Palme !… irrésistiblement !

Dans la poudre qu’il se roule

Sur les fruits du firmament !

Tu n’as pas perdu ces heures

Si légère tu demeures

Après ces beaux abandons ;

Pareille à celui qui pense

Et dont l’âme se dépense

À s’accroître de ses dons !

 

 

***

 

Paul Valéry, Charmes, 1922.