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Hymne de l’été

L’amoureuse Nature était un jour fâchée

De se voir sans rien faire, auprès du Temps couchée :

« Il y a, ce disait, tant de siècles passés

Que du Temps, mon mari, les membres sont cassés,

Froids, perclus, impotents, la charge de ma couche ;

J’ai beau passer ma main très délicate et blanche

Ores dessus son ventre, ores dessus sa hanche,

J’ai beau fourcher ma jambe et chatouiller sa chair,

Il demeure immobile, aussi froid qu’un rocher,

Décharné, deshallé, sans puissance ni force,

N’ayant plus rien de vif sinon un peu d’écorce.

En lieu de me répondre il ronfle, et si ne puis

En tirer seulement un baiser en trois nuits.

Las ! Il n’était pas tel, quand, pour sa chère épouse,

Il me prit chez mon père : il n’aimait autre chouse

Que l’amoureux déduit, duquel les mariés,

Se trouvent bras à bras à leurs femmes liés.

Toujours il m’accolait d’une chaude embrassée,

Toujours ma bouche était à la sienne pressée,

Et fûmes si gaillards que ce grand Univers

Fut peuplé tout soudain de nos enfants divers,

Car tout cela qui vit et qui habite au monde,

Est issu du plaisir de notre amour féconde.

Maintenant il est vieil et je ne le suis pas !

Je sens encore en moi les grâcieux appas,

Dont Amour, mon enfant, chatouille la pensée,

Et sa flamme en mon cœur n’est encore effacée.

Bref, j’ai délibéré de me donner plaisir.

Auprès de mon mari, je ne veux plus gésir.

Je ne fais que gémir, et pense nuit et jour

Le moyen de guérir mes pleurs et mon amour.

Aux charmes, pour l’ôter, j’ai mis ma fantaisie,

Mais mon âme, qui vit de trop d’amour saisie,

Refuse tout confort : mon extrême secours

Est d’avoir sans tarder à ta grâce recours,

Et t’embrasser tout nu, pendant que la nuit brune

Conduira pas le Ciel les chevaux de la lune. »

 

 

 Extrait du Second livre des hymnes, 1556