Madame de Montespan
Tome 5, chapitre 8.
Longtemps maîtresse de Louis XIV, Madame de Montespan, issue d’une des plus anciennes familles de France, les Rochechouart-Mortemart, femme d’une grande beauté et d’un esprit supérieur, est finalement supplantée dans le cœur du roi par Madame de Maintenon. Disgrâciée, elle quitte la cour.
« Peu à peu elle en vint à donner presque tout ce qu’elle avait aux pauvres. Elle travaillait pour eux plusieurs heures par jour à des ouvrages bas et grossiers, comme des chemises et d’autres besoins semblables, et y faisait travailler ce qui l’environnait. Sa table, qu’elle avait aimée avec excès, devint la plus frugale, ses jeûnes fort multipliés ; sa prière interrompait sa compagnie et le plus petit jeu auquel elle s’amusait ; et à toutes les heures du jour, elle quittait tout pour aller prier dans son cabinet. Ses macérations était continuelles ; ses chemises et ses draps était de toile jaune la plus dure et la plus grossière, mais cachés sous des draps et une chemise ordinaire. Elle portait sans cesse des bracelets, des jarretières et une ceinture à pointes de fer, qui lui faisait souvent des plaies ; et sa langue, autrefois si à craindre, avait aussi sa pénitence. Elle était, de plus, tellement tourmentée des affres de la mort, qu’elle payait plusieurs femmes dont l’emploi unique était de la veiller. Elle couchait tous ses rideaux ouverts avec beaucoup de bougies dans sa chambre, ses veilleuses autour d’elle qu’à toutes les fois qu’elle se réveillait elle voulait trouver causant, joliant ou mangeant, pour se rassurer contre leur assoupissement.
Parmi tout cela, elle ne put jamais se défaire de l’extérieur de reine qu’elle avait usurpé dans sa faveur et qui la suivit dans sa retraite. (…)
Elle parlait à chacun comme une reine qui tient sa cour et qui honore en adressant la parole. C’était toujours avec un air de grand respect, qui que ce fût qui entrât chez elle ; et de visites elle n’en faisait jamais, non pas même à Monsieur, ni à Madame, ni à la grande Mademoiselle, ni à l’hôtel de Condé. Elle envoyait aux occasions aux gens qu’elle voulait favoriser, et point à tout ce qui la voyait. Un air de grandeur répandu partout chez elle, et de nombreux équipages toujours en désarroi ; belle comme le jour jusqu’au dernier moment de sa vie, sans être malade, et croyant toujours l’être et aller mourir. Cette inquiétude l’entretenait dans le goût de voyager ; et dans ses voyages elle menait toujours sept ou huit personnes de compagnie. Elle en fut toujours de la meilleure, avec des grâces qui faisait passer ses hauteurs et qui leur était adaptées. Il n’était pas possible d’avoir plus d’esprit, de fine politesse, des expressions singulières, une éloquence, une justesse naturelle qui lui formait comme un langage particulier, mais qui était délicieux et qu’elle communiquait si bien par l’habitude, que ses nièces et les personnes assidues auprès d’elle, ses femmes, celles que, sans l’avoir été, elle avait élevées chez elle, le prenait toutes, et qu’on le sent et on le reconnaît encore aujourd’hui dans le peu de personnes qui en restent. C’était le langage naturel de la famille, de son frère et de ses sœurs. Sa dévotion ou peut-être sa fantaisie était de marier les gens, surtout les jeunes filles ; et comme elle avait peu à donner après toutes ses aumônes, c’était souvent la faim et la soif qu’elle mariait. Jamais, depuis sa sortie de la cour, elle ne s’abaissa à rien demander pour soi ni pour autrui. Les ministres, les intendants, les juges n’entendirent jamais parler d’elle. La dernière fois qu’elle alla à Bourbon, et sans besoin, comme elle faisait souvent, elle paya deux ans d’avance toutes les pensions charitables, qu’elle faisait en grand nombre, presque toutes à de pauvre noblesse, et doubla toutes ses aumônes. Quoique en pleine santé, et de son aveu, elle disait qu’elle croyait qu’elle ne reviendrait pas de ce voyage, et que tous ces pauvres gens aurait, avec ces avances, le temps de chercher leur subsistance ailleurs. En effet, elle avait toujours la mort présente ; elle en parlait comme prochaine dans une fort bonne santé, et avec toutes ses frayeurs, ses veilleuses et une préparation continuelle, elle n’avait jamais ni médecin ni même de chirurgien. »
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