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Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

 

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent

Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

 

Est-elle brune, blonde ou rousse ? — Je l’ignore.

Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

 

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

 

***

 

Paul Verlaine, Poèmes saturniens, 1866