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A Georges Sand

 

 

Flaubert a une particularité dans sa correspondance : il ne ment pas, il ne déguise rien, il dit toujours ce qu’il pense à tous ses interlocuteurs : ses joies, ses tristesses, ses espérances. Et toujours avec un naturel parfait, ce qui rend ses lettres si attachantes. On dirait presque des messages vocaux whatsapp !

Très ami avec Georges Sand, il lui écrivit de nombreuses lettres pleines tendresse, de chaleur et de caractère.

 

 

 

2 février 1869

 

Mon chère Maître.

 

Vous voyez en votre vieux troubadour un homme éreinté. J’ai passé huit jours à Paris, à la recherche de renseignements assommants (7 à 9 heures de fiacre tous les jours – ce qui est un joli moyen de faire fortune avec la Littérature.. enfin !). Je viens de relire mon plan. Tout ce que j’ai encore à écrire m’épouvante, ou plutôt m’écœure à vomir ! Il en est toujours ainsi, quand je me remets au travail. C’est alors que je m’ennuie ! que je m’ennuie, que je m’ennuie ! Mais cette fois dépasse les autres ! Voilà pourquoi je redoute tant les interruptions dans la pioche. Je ne pouvais faire autrement, cependant. – Je me suis trimbalé aux Pompes funèbres, au Père-Lachaise, dans la vallée de Montmorency, le long des boutiques d’objets religieux, etc. !

Bref, j’en ai encore pour quatre ou cinq mois. Quel bon ouf je pousserai quand ce sera fini – Et que je ne suis pas près de refaire des bourgeois ! Il est temps que je m’amuse !

(…)

Votre Force me charme et me stupéfie. Je dis la Force de toute la personne. pas celle du cerveau, seulement.

Vous me parlez de la Critique dans votre dernière lettre en me disant qu’elle disparaîtra prochainement. – Je crois, au contraire, qu’elle est tout au plus à son aurore. On a pris le contrepied de la précédente. mais rien de plus. (Du temps de La Harpe, on était grammairien. – du temps de Sainte Beuve et de Taine on est historien.) – Quant sera-t-on artiste, rien qu’artiste, mais bien artiste. où connaissez-vous une critique qui s’inquiète de l’Œuvre en soi, d’une façon intense ? On analyse très finement le milieu où elle s’est produite et les Causes qui l’ont amenée. – mais la poétique insciente, d’où elle résulte ? Sa composition, son Style ? le point de vue de l’auteur ? Jamais !

Il faudrait pour cette critique-là une grande imagination et une grande bonté, je veux dire une faculté d’enthousiasme toujours prête. – Et puis du Goût, qualité rare, même dans les meilleurs, – si bien qu’on n’en parle plus, du tout !

Ce qui m’indigne tous les jours, c’est de voir mettre sur le même rang un chef-d’œuvre et une turpitude. On exalte les Petits et on rabaisse les grands. – rien n’est plus bête ni plus immoral –

(…)

Embrassez vos deux petites-filles pour moi

 

Je vous baise sur les deux joues, tendrement.

Votre vieux

Gve Flaubert

 

 

***