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Jean-Roger Sourgen (1883-1978), L’Étang landais, 1938, huile sur toile.

Jean-Roger Sourgen est un peintre landais autodidacte. Après avoir exercé de nombreux métiers, il s’est consacré à la peinture, et plus spécifiquement, aux paysages landais. Comme François Mauriac, il s’est attaché à peindre l’atmosphère d’un univers très circonscrit.

L'enfance

Il y a des écrivains qui donnent le sentiment d’écrire parce qu’ils en ont assez vu, ou même trop vu. Ce serait le cas, par exemple, de Louis-Ferdinand Céline ou de Michel Houellebecq. François Mauriac, lui, tire son inspiration des commencements de la vie. Ses premières années vécues dans « les grandes landes girondines » sont la source où il se retrempe sans cesse, le parfum qu’il vient respirer. L’univers romanesque de François Mauriac est donc le monde de son enfance, et plus encore, le monde tel qu’un enfant le sent ou le pressent. Pour un enfant, tout est signe, et tout est mystérieux : le monde est saturé de sensations et de sens, même si tout n’est pas clair. Un adulte un peu caricatural, au contraire, a toujours tout compris à un monde qui, pourtant, devient de plus en plus dépourvu de sens à ses yeux.

Même s’il sera travaillé par le romancier et l’expérience de la vie, il faut saisir l’importance de ce regard d’enfant : c’est lui qui donne l’impulsion initiale à François Mauriac. C’est la raison du mystère qui nimbe ses personnages romanesques et de l’acuité de la terrible énigme du mal, sans cesse posée, jamais résolue. François Mauriac l’assume : la fin de l’enfance, c’est la chute, le trouble, le regard des autres. Est-ce qu’on fera jamais mieux qu’un enfant de douze ans ?

La famille

Ce qui frappe le lecteur, c’est d’abord la domination écrasante de la Famille : le nom, les propriétés, la respectabilité, dans le passé et pour l’avenir. Les individus sont sacrifiés à l’établissement d’un nom, ou plutôt c’est la famille qui est l’individu, les êtres ne sont que les cellules de ce corps. Moins libres que les hommes, les femmes sont davantage victimes de cette domination implacable du nom, des propriétés, lorsqu’elles ne s’en accommodent pas. La misère n’est donc pas nécessaire pour rendre un foyer malheureux. La haine prospère aussi bien au milieu des parcs, des salons, et des livres de comptes.

Dans les oeuvres de Mauriac, les familles apparaissent souvent en arrière-fond d’un couple privilégié : mère/fils, père/fils, mari/femme. Ces couples sont parfois destructeurs. Trop chargés d’amour ou d’attente d’amour, en même temps empêchés par une réserve, les mots sortent mal, faussés, et la communication se brouille.

La famille est avant tout l’espace privilégié de la tragédie. Pourquoi ? Parce qu’elle est une machine à fabriquer des destins, autrement dit, à transformer les existences en essences : « Cet enfant n’est pas intelligent », « Ton frère te créera toujours des problèmes », etc. Les êtres se cognent contre les murs, et bientôt se déchirent ou s’échappent.

Liberté

« On eût dit que la loi les rassurait, et qu’ils cherchaient à se prémunir contre cette liberté que le Christ leur apportait. »

 

Conférence à la Semaine catholique, 1966

Albert Marquet, La femme en bleu. (1928) Musée d’art moderne de la ville de Paris.

Comme Mauriac, Albert Marquet est né à Bordeaux et y a passé son enfance. Les femmes désespérant de l’amour, dans un milieu ayant tendance à nier leur individualité, sont nombreuses dans les romans de l’écrivain bordelais.

L'amour

Le monde romanesque de François Mauriac est celui de la chute. Les être humains sont des créatures déchues. Rien n’est simple. Certains êtres paraissent étrangers à l’amour (Le nœud de vipères). Les autres ne savent pas s’aimer (Le baiser au lépreux, Thérèse Desqueyroux). Mais tout le monde souffre, consciemment ou non, de cet inaccomplissement. Cette souffrance affective prend toutes les formes imaginables : une vie sexuelle manquée (« Faites vite », dit une femme à son mari dans le lit conjugal), un amour filial écrasant (Genitrix) ou absent (Le Nœud de vipères), ou bien encore un amour incommunicable (Le Désert de l’amour).

L’ambition de Mauriac n’est pas de se faire le physiologiste d’une classe sociale, à la manière de Balzac. Il est d’abord un chrétien. A ce titre, il cherche à rendre compte, en partant d’un milieu qu’il connait bien, de l’errance des êtres dans un monde où la foi n’est le plus souvent qu’un rite social, mais aussi des réfractions de l’amour divin dans les relations entre les hommes. La grâce existe, en effet : elle est ce « mystère » qui lie Blanche Frontenac à ses enfants, et les enfants entre eux. Elle se manifeste aussi par la conversion du vieux Louis dans Le Nœud de Vipères, au terme d’une vie où il aura épuisé toutes les formes de la déception et de l’amertume. Elle est ce qui persiste d’enfance en nous, ce qui demeure inaccessible au temps et à l’usure malgré la vie sociale, professionnelle, matérielle.

La culpabilité

Les romans de Mauriac sont volontiers associés à une culpabilité judéo-chrétienne d’un autre temps. Y a-t-il aujourd’hui rien de plus ridicule ou désuet qu’un examen de conscience fait à genoux, les mains jointes, au pied de son lit ?

En réalité, il ne faut pas chercher bien loin pour en trouver des échos dans notre univers contemporain, ou en nous-mêmes. Que fait le monde occidental, sinon se livrer à un gigantesque examen de conscience au sujet du colonialisme, ou de la traite des noirs ? Nous aussi, nous demandons pardon -qui plus est, pour des fautes commises par d’autres que nous. A l’échelle individuelle ou collective, le pardon et la faute sont plus que jamais des réalités agissantes.

Il y a dans les romans de Mauriac de nombreux personnages imperméables à la culpabilité. Ce ne sont pas les plus intéressants. Ce sont souvent les plus bêtes, les plus obtus. Pourquoi ? Comme Dostoïevski, Mauriac constate que chacun d’entre nous a partie liée au mal. Le désir a sa face sombre. Nous reproduisons malgré nous des paroles ou des comportements que nous réprouvons chez d’autres. Par conséquent, c’est par le sens de la culpabilité que l’humanité s’élève : non par la peur d’aller trop loin ou d’enfreindre une loi, mais par la conscience de n’avoir pas assez aimé.

Un vice exaspérant

« Connaissant les plus tristes secrets des hommes, le docteur professait à leur égard une mansuétude sans limites. Un seul vice pourtant l’exaspérait : chez les êtres déchus, cette adresse pour embellir leur déchéance. »

 

Le Désert de l’amour

Peder Severin Krøyer, Le portrait de la famille Hirschsprung. 1881. Hirschsprung collection, Copenhagen, Danemark