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La Religieuse

 

 Suzanne est une jeune fille mise au couvent contre sa volonté. Elle se retrouve sous l’autorité d’une mère supérieure qui tombe sous son charme et ne pense qu’à coucher avec elle. Devant son confesseur (dom Morel), elle s’étonne des interdits qui frappent l’amour des femmes entre elles.

 

— Mais que la familiarité et les caresses d’une femme peuvent-elles avoir de dangereux pour une autre femme ? »

Point de réponse de la part de dom Morel.

« Ne suis-je pas la même que j’étais en entrant ici ? »

Point de réponse de la part de dom Morel.

« N’aurais-je pas continué d’être la même ? Où est donc le mal de s’aimer, de se le dire, de se le témoigner ? cela est si doux !

— Il est vrai, dit dom Morel en levant les yeux sur moi, qu’il avait toujours tenus baissés tandis que je parlais.

— Et cela est-il donc si commun dans les maisons religieuses ? Ma pauvre supérieure ! dans quel état elle est tombée !

— Il est fâcheux, et je crains bien qu’il n’empire. Elle n’était pas faite pour son état ; et voilà ce qui en arrive tôt ou tard, quand on s’oppose au penchant général de la nature : cette contrainte la détourne à des affections déréglées, qui sont d’autant plus violentes, qu’elles sont mal fondées ; c’est une espèce de folie.

— Elle est folle ?

— Oui, elle l’est, et le deviendra davantage.

— Et vous croyez que c’est là le sort qui attend ceux qui sont engagés dans un état auquel ils n’étaient point appelés ?

— Non, pas tous : il y en a qui meurent auparavant ; il y en a dont le caractère flexible se prête à la longue ; il y en a que des espérances vagues soutiennent quelque temps.

— Et quelles espérances pour une religieuse ?

— Quelles ? d’abord celle de faire résilier ses vœux.

— Et quand on n’a plus celle-là ?

— Celles qu’on trouvera les portes ouvertes, un jour ; que les hommes reviendront de l’extravagance d’enfermer dans des sépulcres de jeunes créatures toutes vivantes, et que les couvents seront abolis ; que le feu prendra à la maison ; que les murs de la clôture tomberont ; que quelqu’un les secourra.

 

 

***

Extrait de La Religieuse, de Denis Diderot.