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Rimbaud se sentait à l’étroit dans sa ville natale, c’est entendu. Mais c’est comme un pli de sa personnalité : toute sa vie, dès qu’il arrive quelque part, il étouffe, et pense déjà au départ.

La famille et Charleville

L’univers de Rimbaud est d’abord celui d’une famille –étouffante. Une mère tyrannique et « plus inflexible que soixante-treize administrations à casquette de plomb ». Son grand frère Frédéric, d’abord camarade et ami, puis ostracisé par toute la famille pour avoir chuté dans l’échelle sociale. Sa sœur Vitalie morte à dix-sept ans, sa sœur Isabelle qui le soutiendra nuit et jour au moment de sa mort, mais qui tentera ensuite « d’arranger » ses œuvres. Il y a aussi ceux qu’il a peu ou pas connu : son oncle Charles, vagabond alcoolique et violent, qui mourra à l’hospice à 94 ans, en repoussant le prêtre et en buvant un litre de rouge. Son père enfin, qu’il a très peu connu, militaire sans cesse en mouvement, curieux des langues, colonisateur du Maroc et possible traducteur du Coran en français. Bien qu’il la détestât, curieusement, Rimbaud ne quittera jamais tout à fait sa famille. Il y revient toujours, et au moment de mourir réclame sa mère. Il reste que sa seule présence lui causait d’après un témoin « un malaise physique » et qu’une bonne partie de son œuvre a été écrite contre l’atmosphère étriquée de son milieu d’origine.

Les mots

Avant ses dix-sept ans, Arthur avait lu entièrement les ouvrages de la bibliothèque de Charleville. Il était aussi le petit champion de l’académie en latin, langue mère du français. Ceci signifie au moins une chose : le poète maîtrisait parfaitement la langue française, dans tous ses registres. A la recherche de mots bizarres, rares ou de son cru, comme « abracadabratesque », « ithyphallique », etc., il semble aimer les mots comme un chasseur de papillons.

Ce sont les mots qui lui permettront de quitter son milieu par la force de l’imagination et du rêve d’abord, puis ensuite de partir pour Paris à l’invitation de Verlaine qui avait lu quelques-uns de ses poèmes.

Lisant Arthur Rimbaud, il faut croire en la puissance des mots, que le poète manipule comme un alchimiste ; mais aussi tout simplement les lire et les entendre pour la beauté du son, de la couleur propre à chacun d’entre eux. N’oublions pas la part de l’enfance et la part du jeu !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d’humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
– Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, – seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !

 

Les poètes de sept ans

« Monsieur Rimbaud, négociant français, arrive de Toudjourrah, avec sa caravane (…). Il sait l’arabe et parle l’amharigna et l’oromo. Il est infatigable. Son aptitude pour les langues, une grande force de volonté et une patience à toute épreuve le classent parmi les voyageurs accomplis.»

 

Journal de M. Borelli, à Ankober, 9 février 1887

Ce peintre contemporain de Rimbaud a lui aussi quitté la France pour l’Afrique. Allant plus loin que le poète, Dinet se convertit à l’Islam et changea son prénom pour Nasredine.

Le voyage

D’abord, par l’imagination. Ensuite, les fugues vers Paris. Puis les voyages en Europe, -en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Autriche. En montagne, il traverse à pied le Saint-Gothard dans la neige pour rejoindre l’Italie. Sur la route de Sienne, toujours piéton, il tombe assommé par une insolation. Cet incident ne le décourage pas, et il part toujours plus loin, apprend l’anglais, l’allemand, l’arabe, l’amharigna, et l’oromo.

Une fois au Harar, en Ethiopie, il ne tient pas en place, explore des contrées inconnues des occidentaux, marche au devant de sa caravane pendant 120 jours pour vendre des armes au futur Negus d’Ethiopie. Verlaine l’appelait « l’homme aux semelles de vent ». Son ami d’enfance Delahaye disait de lui qu’il était un bohémien dans l’âme. Partir ! Dans sa correspondance, Rimbaud se montre toujours en train de mijoter un départ ou de préparer un voyage.

Le désir

Dans la poésie de Rimbaud, ou dans sa vie, le désir est au centre, dans ses aspirations les plus nobles comme dans ses expressions les plus scatologiques (Oraison du soir).

Désir de l’enfant qui veut s’arracher à son milieu, bateau ivre de sentir le vent dans ses voiles, désir de l’adolescent pour Verlaine, désir de quitter Paris et l’Europe « aux anciens parapets » pour vivre sous le soleil.

Les poèmes de Rimbaud expriment aussi la rage contre une vie qui n’est jamais à la hauteur du désir (Les sœurs de charité, Le cœur supplicié, Une Saison en enfer).

Pourtant, si l’on devait associer une saison à Rimbaud, ce serait le printemps ou l’été, sûrement pas l’automne et la mélancolie des jours qui rétrécissent.

« Elle est retrouvée !

-Quoi ? -L’éternité.

C’est la mer

mêlée au soleil.»

 

Nous savons que Rimbaud est allé au moins deux fois voir les tableaux de Turner à la National Gallery à Londres, en 1872 et en 1874. On ignore presque tout des goûts de Rimbaud en matière d’art ou de musique. Mais s’il est revenu voir les tableaux de Turner, il est permis de penser qu’ils lui ont plu !

Le soleil

Rimbaud voulut rendre Verlaine à sa vocation première de « fils du Soleil ». Ça n’a pas marché. Mais le soleil demeure une clef de l’œuvre et de la vie de Rimbaud. De sa vie d’abord, parce qu’il l’a cherché, et qu’il a fini par s’établir là où il tape le plus fort sur la Terre, dans la corne de l’Afrique. Des témoins racontent que Rimbaud, la peau brunie, brûlée, tannée par le soleil, marchait tête nue sans prendre garde aux rayons, comme s’il cherchait au contraire à s’y exposer le plus possible. On pense alors à cette phrase d’Une Saison en Enfer :

Je me traînais dans les ruelles puantes et, les yeux fermés, je m’offrais au soleil, dieu de feu.

Il y a des poètes plutôt lunaires, comme Lamartine ou Apollinaire ; Rimbaud appartient à l’ordre des poètes solaires.

Le salut -une autre vie

Il y a dans les poèmes de Rimbaud une aspiration à une autre vie, et même à un sentiment religieux contre lequel il lutte mais qui n’en finit jamais de ressurgir. Après sa mort, sa sœur a essayé de le faire passer pour un chrétien modèle, ce qui est un peu ridicule, Paul Claudel voyait en lui « un mystique à l’état sauvage », et la formule sonne juste. Le sentiment d’avilissement et l’espoir d’une vie nouvelle sont en tous cas une clef de lecture de son œuvre.

Sur la mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice.

Une Saison en enfer

Le combat spirituel

« Point de cantiques : tenir le pas gagné, Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. »

 

Une Saison en Enfer