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Pierre-Auguste Renoir, Le déjeuner des canotiers , 1881.

Maupassant pourrait être un des personnages du tableau : il aimait les guinguettes, et passait beaucoup de temps à canoter… en bonne compagnie le plus souvent.

Mais surtout, la vibration extraordinairement vivante de cette peinture répond à la tonalité de l’œuvre de Maupassant, près des corps et des émotions, sensuelle, célébrant la vie physique.

 

La Normandie

Les récits de Maupassant suivent les méandres de la Seine, de Paris au Havre, et défilent à travers la campagne normande. L’auteur a passé son enfance à Etretat, entre mer et campagne, puis a beaucoup canoté sur la seine à Bezons ou à Argenteuil. Le patois normand du pays de Caux et les tournures populaires, faubouriennes, lui sont familières. Comme Flaubert, Maupassant est un écrivain profondément ancré dans sa Normandie. Elle est pour lui bien plus que le décor de ses nouvelles : une langue, une manière de sentir, une certaine lumière sur les choses et les êtres, une terre fertile et boueuse, une nature à la frontière du rêve. Si secret et pudique sur son propre compte, il fera dire à l’un des personnages de « L’homme de mars », à propos des falaises d’Etretat, où le jeune Maupassant a grandi (sa mère l’appelait alors « le poulain échappé ») :

Mes meilleurs jours sont ceux que j’ai passés, étendu sur une pente d’herbes, en plein soleil, à cent mètres au-dessus des vagues, à rêver. Me comprenez-vous ?

Lorsqu’il évoque le monde paysan normand, Maupassant n’est pas flatteur. Il ne se fait pas une vision romantique de la campagne : il l’a vue et connue de près. Mais il n’y a aucune méchanceté dans son regard. Au delà d’une ironie froide, on devine la compassion.

Le grotesque

Il y a comme un air de famille entre certains récits de Maupassant et certains récits de Flaubert : cette ressemblance tient avant tout à leur sens très particulier du grotesque. Pour ces auteurs, la vie des hommes est indissolublement comique et tragique à la fois. Elle est tragique parce que les hommes peuvent souffrir et se faire souffrir démesurément, et cela n’a rien de drôle. Elle est comique tant les causes de cette souffrance peuvent être ridicules, ou liées à des attentes déplacées, des malentendus -en somme au fait que nous sommes la plupart du temps à côté de la plaque. C’est pourquoi, souvent à la lecture de Maupassant, on se sent sur le point de rire et de pleurer à la fois. Nous sommes mal outillés pour la vie, pour l’amour, pour la connaissance, et ce n’est la faute de personne, au fond, que de la nature des choses, ou de Dieu, s’il existe. Dans Madame Bovary, Flaubert a cette phrase splendide :

La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand nous voudrions attendrir les étoiles.

Ce n’est pas la bonne volonté qui manque, c’est l’instrument qui fait défaut. C’est pourquoi, autrement que par le travail artistique ou littéraire qui permet d’améliorer cet instrument, nous pouvons difficilement espérer échanger autre chose que des banalités.

Honoré Daumier, le wagon de 3e classe (vers 1865). Version inachevée du MET, New-York.

Regards durs et fermés des bourgeois au fond, fatigue et ténacité des femmes aux premier plan. A la manière de ce tableau de Daumier sans concession, Maupassant dépeint la dureté de son temps sans flatter personne.

L'inconstance du désir

Les personnages construits par Maupassant ne sont pas toujours délibérément volages ou inconstants. Même l’ambitieux Georges Duroy, alias Bel-Ami, prêt à tout pour sortir de la pauvreté et parvenir aux premiers rangs de la société, tombe parfois réellement amoureux des femmes qui sont pour lui en réalité des leviers sociaux. Du moins, il le croit.

Plus souvent que les hommes, les femmes sont chez Maupassant les victimes de cette versatilité. Elles peuvent cependant réagir en tenant les hommes à distance, comme Mme de Marelle dans Bel-Ami, ou bien en les manipulant comme dans la nouvelle Sauvée, ou encore les rendre fous… En vérité, semble nous dire Maupassant, nous ne pouvons avoir aucune confiance dans les sentiments d’autrui, ni même en nos propres sentiments, qui peuvent changer à la faveur d’une simple circonstance, tant nous sommes une espèce frivole et déréglée. C’est au fond la seule certitude : nous vivons hantés par des chimères, des fantasmes que nous plaquons sur la réalité, et nous sommes trompés par les mots, les conventions, une éducation trompeuse. Le désir en lui-même est tenace, puissant, mais il s’applique à ce qu’il rencontre et se sert de tout être pour sa propre réalisation. C’est dire que les créatures de Maupassant sont isolées, enfermées en elles-mêmes. Comme chez Proust, il n’y a pas de réelle communication entre les êtres.

Le fantastique et la folie

Dès sa jeunesse, Guy de Maupassant aimait faire peur, surprendre, effrayer. Exploitant cette veine en créant de nombreux récits dans le genre fantastique, son goût personnel rencontra le goût du public. Qu’est-ce que le fantastique ? C’est l’irruption de l’inexplicable dans le quotidien. Et chez Maupassant, cet inexplicable, parfois subtil, léger, finit par provoquer une terreur effroyable.

Dans une lettre à son frère où il évoque justement Maupassant, Vincent van Gogh s’interroge : « la vie est-elle tout entière visible pour nous, ou bien n’en connaissons-nous avant la mort qu’un hémisphère ? » C’est une question qui traverse aussi toute l’œuvre de l’écrivain (voir par exemple la nouvelle « Sur l’eau »).

Maupassant semble avoir passé toute sa vie d’écrivain très loin de la folie, les pieds bien sur terre, et écrivant malgré la maladie, plutôt qu’à cause d’elle. Pourtant, on peut se demander s’il n’a pas écrit en réalité contre la maladie, et contre l’angoisse qu’il portait en lui, tant certaines oeuvres, comme Le horla, préfigurent sa fin future, telle que la raconte François, son fidèle serviteur.

Regards sur l’œuvre de Maupassant à travers les peintres de son temps