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Génie radioactif

La vie d'Isidore Ducasse

Isidore Ducasse naît à Montevideo, capitale de l’Uruguay, en octobre 1846. Ses parents, originaires de Tarbes, étaient venus chercher fortune dans ce pays plein de promesses. Sa mère meurt peu après sa naissance.  A l’âge de 13 ans, comme c’est l’usage, Isidore est envoyé faire ses études en France, à Tarbes puis à Pau. C’est un élève moyen, distant, et qui suscite l’agacement de son professeur de rhétorique par ses compositions au style bizarre. Après son bac, il revient quelques mois en Uruguay, puis s’installe à Paris. 

L'écriture

On savait très peu de choses de lui jusque-là, on en saura encore moins. Soutenu financièrement par son père, il semble décidé à faire œuvre d’écrivain. Dans la capitale, Isidore mène une vie très solitaire, et se consacre à l’écriture des Chants de Maldoror pendant deux ans. Sous le nom d’auteur de comte de Lautréamont, il fait imprimer les Chants mais son éditeur, épouvanté par le contenu, ne les met pas en vente, par crainte d’un procès. Après ce lancement tombé à l’eau, le jeune écrivain change totalement de manière et se propose de ne plus chanter que « l’espoir, l’espérance, le calme, le bonheur ». Il débute ce programme en faisant publier à ses frais Poésies I et II. Mais un matin de novembre 1870, alors que Paris est assiégé par les Prussiens, Isidore Ducasse est retrouvé mort à son domicile. Il avait 24 ans.

Témoignage unique

« J’ai connu Ducasse au lycée de Pau dans l’année 1864. (…) Je vois encore ce grand jeune homme mince, le dos un peu voûté, le teint pâle, les cheveux longs tombant en travers sur le front, la voix aigrelette. Sa physionomie n’avait rien d’attirant.

Il était d’ordinaire triste et silencieux, et comme replié sur lui-même. (…) Souvent, dans la salle d’étude, il passait des heures entières, les coudes appuyés sur son pupitre, les mains sur le front et les yeux fixés sur un livre classique qu’il ne lisait point ; on voyait qu’il était plongé dans une rêverie. »

 

Son ancien condisciple Paul Lespès, interrogé en 1927

Sa place dans l'histoire de la littérature

De son vivant, Isidore Ducasse n’était connu de personne. Il n’a pas réussi à faire paraître les Chants de Maldoror. Les Poésies n’ont suscité aucun intérêt de la part du public ou des critiques. C’est la revue « La Jeune Belgique » qui la première attire l’attention sur Lautréamont en 1885. Les Chants de Maldoror commencent alors à circuler en France. Léon Bloy et Huysmans témoignent de leur ébahissement dans des articles retentissants. Si les inspirations de Ducasse sont évidentes (Homère, Byron, Poe), si les Chants de Maldoror peuvent apparaître comme le bouquet final du romantisme, les deux écrivains chrétiens voient en lui une audace et un génie jamais vus.

Un écrivain-mystère

Après cette première reconnaissance, c’est surtout le groupe surréaliste qui fera de Ducasse -mort trop tôt pour déchoir- une figure mythique : il est le révolté absolu, l’écrivain qui ne s’interdit rien, l’anti-bourgeois incendiaire. Explorateur du langage et de l’inconscient, il est la modernité par excellence, jusque dans cette ironie critique qui s’interroge sur les finalités de la littérature. Enfin, Lautréamont fascine d’autant plus qu’on ne sait presque rien de lui. Quelques lettres, aucun manuscrit des œuvres. Impossible de suivre la genèse du texte, la lente élaboration de la prose : les Chants de Maldoror éclatent comme la foudre.

Au lycée

« Au lycée, nous considérions Ducasse comme un brave garçon, mais un peu, comment dirai-je ? timbré. »

 

Témoignage de Paul Lespès, camarade de classe d’Isidore Ducasse

 

Reconnaissance

« Pour nous, il n’y eut d’emblée pas de génie qui tînt devant celui de Lautréamont. »

 

André Breton, entretien

 

Un auteur extraordinaire

Impossible de faire le tour des Chants de Maldoror, ou même de les raconter. Autant que son auteur, l’œuvre demeure insaisissable. Que dire ? Lautréamont fait exploser le romantisme dans une apothéose d’images violentes, en mêlant à ce déchaînement une voix de plus en plus ironique sur son propre discours.

Si vous vous sentez un peu faible ou fiévreux, ne lisez pas les Chants de Maldoror. Si vous êtes sujet aux angoisses nocturnes, passez votre chemin. Ou préparez-vous à trembler. Plus qu’un alcool fort, ce livre est un poison -et c’est d’ailleurs l’opinion de l’auteur. Il y a quelque chose de monstrueux dans les Chants, quelque chose d’impossible, voire de dangereux : l’expression aboutie, précise, mature, lucide, des fantasmes et des terreurs d’un enfant. La colère d’un petit garçon devant son impuissance se trouve ici compensée avec une force et une violence extraordinaires : la terreur de l’abandon, l’angoisse de la puberté, l’horreur de la souffrance et de la brutalité du monde, passent en des images grandioses, effrayantes, faites de la matière des cauchemars.

 

Conseil

« Dors… Dors toujours. Que ta poitrine se soulève, en conservant l’espoir chimérique du bonheur, je te le permets ; mais n’ouvre pas tes yeux. Ah ! N’ouvre pas tes yeux ! »

 

Les Chants de Maldoror

Extraits