Littératurefrançaise.net

Quand aux champs où je suis, nous sommes tous égaux :
Les mânes des grands rois et des hommes ruraux,
Des bouviers, des soldats, et des princes d’Asie,
Errent également selon leur fantaisie,
Qui deça, qui delà, de verger en verger,
S’ébattent à plaisir sans soupçon ni danger,
Simples, grêles, légers, comme on voit les avettes,
Voler parmi vos prés sur les jeunes fleurettes.

 

 

Discours à Louis des Masures

La beauté

Y a-t-il rien de plus ennuyeux qu’une déclaration d’amour sur le papier (quand elle ne s’adresse pas à nous) ? Ronsard n’a pas craint de lasser son public puisqu’il en a écrit des centaines, d’abord à Cassandre, puis à Marie, puis à Hélène de Surgères, et j’en passe.

Ronsard n’a pas fait que des sonnets galants, il a fait œuvre de poète épique, a même écrit contre les armes à feu, et aussi sur la bonne manière de faire une vinaigrette.

Mais il faut reconnaître qu’il a un talent particulier pour célébrer la beauté, surtout la beauté d’une femme,

Ce beau corail, ce marbre qui soupire

Malheureusement, cette beauté est pour lui souvent vecteur de frustration. Et c’est d’abord une frustration sexuelle, Ronsard n’en fait pas mystère :

Or que Jupin époint de sa semence,
Hume à long traits ses feux accoutumés,
Et que du chaud de ses reins allumés,
L’humide sein de Junon ensemence ;

Or’ que la mer, or’ que la véhémence
Des vents fait place aux grands vaisseaux armés,
[…]
Seul et pensif, aux rochers plus secrets,
D’un cœur muet je conte mes regrets,
Et par les bois je vais celant ma plaie.

Les plaisirs minuscules

Comme Victor Hugo, Ronsard est un poète qui a des goûts simples. Il aime la vie. Il n’est pas miné par la mélancolie de son compère Du Bellay. On sent chez Ronsard souvent une aspiration à une vie tranquille hors des combats politiques de son temps, par exemple vers des îles

Que l’océan de ses eaux azurées,
Loin de l’Europe, et loin de ses combats,
Pour notre bande emmure de ses bras.

Comme son contemporain Montaigne, il n’a aucune sympathie pour le prosélytisme et ne comprend pas pourquoi Villegaignon est parti au Brésil évangéliser des Indiens qui ne lui ont rien demandé :

Laisse-les, je te prie, si pitié te remord,
Ne les tourmente plus et t’enfuies de leurs bords.
(…)
Vivez, heureuse gent, sans peine et sans souci,
Vivez joyeusement : je voudrais vivre ainsi.

Il voudrait vivre ainsi, dans les plaisirs et la quiétude d’un âge d’or fantasmé. Mais l’amour courtois, c’est-à-dire un amour vivant d’imagination, de distance, voire d’impossibilité, le travaille jour et nuit et lui fait redouter le moment où dans son lit il se retrouvera seul avec ses pensées :

Pour ne me coucher point je cherche à deviser,
Je lis en quelque livre ou feins de composer,
Ou seul je me promène et repromène encore,
Trompant d’un souvenir l’ennui qui me dévore.

Terres sauvages

« La nature a toujours dedans la mer lointaine,

Par les bois, par les rocs, sous des monceaux d’areine,

Recélé les beautés, et n’a point à nos yeux,

Montré ce qui était le plus délicieux :

Les perles, les rubis sont enfants des rivages,

Et toujours les odeurs sont aux terres sauvages. »

 

A Marie Stuart, Premier Livre des Poèmes

« Ne m’achète point de chair,
Car tant soit elle friande,
L’été je hais la viande.

Achète des abricots,
Des pompons, des artichauts,
Des fraises et de la crème.
C’est en été ce que j’aime
Quand sur le bord d’un ruisseau,
Je la mange au bruit de l’eau,
Etendu sur le rivage,
Ou dans un antre sauvage. »

Livre II, Ode XVIII

 

Analogie et mythologie

A l’époque de la Renaissance, la pensée scientifique pose ses premiers jalons, avec Galilée par exemple. C’est le début d’une grande aventure, mais seulement le début : la représentation du monde la plus commune vient du Moyen-âge et procède donc d’une pensée analogique.

Le roi gouverne son pays à l’image de Dieu roi du monde ; la structure de la société trouve son image dans la représentation du corps ; les pas de danse mêmes, reprennent les mouvements des constellations et représentent l’ordre du monde : tout est dans tout. Autrement dit, la coupure entre nature et culture, constitutive de l’occident moderne, n’a pas encore eu lieu. En conséquence, dans le monde qui est encore celui de Ronsard (comme dans celui de Montaigne), les animaux et les plantes sont encore un peu nos cousins et cousines, et non des mécanismes à élucider. Ronsard parle du sang des arbres, et se révolte quand on arrache une forêt pour faire des champs, c’est-à-dire de l’utile, du revenu, du rationnel.

En plus de toute la chaîne des êtres vivants, le cosmos de Ronsard s’enrichit encore de tout l’univers mythologique gréco-latin ; dieux, déesses, faunes, nymphes peuplent ses vers. Même, des « démons » aériens et terrestres, farceurs, ni bons ni méchants, qui semblent des gargouilles échappées des cathédrales :

Autour de nos maisons, et de travers se couchent,
Dessus notre estomac, et nous tâtent et touchent ;
Ils remuent de nuit bancs, tables et tréteaux,
Clefs, huis, portes, buffets, lits, chaires, escabeaux…

De temps en temps, les démons prennent froid, et ils cherchent la chaleur,

Non celle du soleil, car elle est trop ardente,
Mais le sang tempéré d’une bête vivante,
Et entrent dans les porcs, dans les chiens, dans les loups,
Et les font sauteller sur l’herbe comme fous.

La jeunesse

Pierre de Ronsard n’aurait pas pu écrire, comme Victor Hugo, un Art d’être grand-père. D’abord, parce qu’il n’a vraisemblablement pas eu d’enfants, mais aussi parce qu’il a détesté la vieillesse.

Le vrai trésor de l’homme est la verte jeunesse,
Le reste de nos ans ne sont que des hivers.

Pourtant Ronsard n’est pas un poète élégiaque, ou révolté, en colère contre l’ordre du monde. Il est la joie même. Ses derniers vers, où paraissent la douleur crue, la faiblesse, sont d’autant plus touchants :

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé :
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Malgré ces derniers vers qui montrent un homme sombre dans sa vieillesse, Ronsard a d’abord et surtout été le poète de la jeunesse :

Ne vois tu que le jour se passe ?
Je ne vis point au lendemain.
Page, reverse dans ma tasse,
Que ce grand verre soit tout plein.
Maudit soit qui languit en vain.

Consolons-nous : Pierre de Ronsard ne semble pas avoir trop langui, il semble avoir bien profité de tout, en épicurien conscient à la fois de la valeur des plaisirs et du temps qui passe…

Le temps s’en va, le temps s’en va, Madame,
Las ! Le temps non, mais nous nous en allons.

 

Courtisan

« Il faut mentir, flatter et courtiser,

Rire sans ris, sa face déguiser

Au front d’autrui, et je ne le veux faire;

Car telle vie à la mienne est contraire.

Je suis pour suivre à la trace une Cour

Trop maladif, trop paresseux, et sourd…« 

 

 

La vie rustique