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Photo Etienne Hubert – Tous droits réservés, Gallimard – 1965

La contemplation

La vie de J.M.G. Le Clézio

© Louis Monier. Tous droits réservés 2023 / Bridgeman Images

Jean-Marie Gustave Le Clézio naît à Nice en avril 1940. Ses parents viennent de l’ile Maurice, où leurs aïeux bretons s’étaient installés au XVIIIe siècle. Dans sa famille, Le Clézio vit au carrefour de cultures et de langues différentes : le français, le créole, l’anglais. A l’âge de huit ans, Jean-Marie découvre son père lors d’un séjour en Afrique qui fait sur lui une forte impression. Il se met à écrire. Après son bac obtenu à Nice, il poursuit ses études en Angleterre, et accède à la notoriété littéraire très tôt, puisqu’il remporte le prix Renaudot à l’âge de 23 ans, pour Le Procès-verbal. Le jeune auteur se distingue par son audace, son inquiétude, et la modernité de ses recherches formelles. Langage et réalité semblent se confondre dans cette personnalité tourmentée, tentée par le repli sur soi.

Un écrivain en mouvement

En 1967, il fait son service national en Thaïlande, d’où il est expulsé pour avoir dénoncé la prostitution des enfants. Il découvre ensuite le Mexique, et se prend de passion pour les cultures amérindiennes, au point de partager la vie des indiens Embera de 1970 à 1974. Cette expérience initie J.M.G. Le Clézio à une autre manière de percevoir le monde, de penser, et de vivre, qui aboutit à une profonde transformation de son écriture, désormais plus apaisée et classique. Mondo et autres histoires (1978), et surtout Désert (1980), qui aura un succès considérable, seront les jalons notables de ce développement continu, qui s’enrichit de traductions et de poésies. Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 2008.

Passages

« Nous ne sommes que des passages. De fugitives figures, écrans de fumée où se projettent les lumières de la vraie vie. »

 

L’Extase matérielle

Le Clézio et son temps

J.M.G. Le Clézio naît pendant la guerre, puis grandit dans une société de consommation triomphante qu’il n’aimera jamais. Ses premières œuvres (Le Procès-Verbal, La Guerre notamment) témoignent d’un rejet fondamental, épidermique, du monde des trente glorieuses. La rencontre avec les communautés indiennes d’Amérique centrale, au début des années 70, apportera à ses livres une tonalité plus solaire et sereine. Elle marquera aussi le début d’un soutien indéfectible aux sociétés écrasées ou marginalisées. Le Clézio n’est pas pour autant un homme d’action : il subit son temps ; mais en tant qu’écrivain, il en exprime les souffrances, les non-dits, les attentes.

La dignité des humiliés

L’aura de son œuvre, encore augmentée par le prix Nobel en 2008, contribue à signaler l’existence et la valeur de cultures dominées, disparues ou réduites au silence (Le Rêve mexicain, Désert). Comme de nombreux auteurs de sa génération, il porte en lui la culpabilité de la colonisation, et il assume le fait d’écrire aussi pour réparer, même si pour lui, l’essentiel est ailleurs : « le but de la littérature n’est pas de militer ou de lutter pour ceci ou contre cela. La littérature, ce ne sont pas des idées, c’est du bruit. »

Danger

« Je me souviens, j’avais le sentiment éminent du danger représenté par le livre. Je me surprends encore aujourd’hui à faire un geste qu’il m’était alors familier d’accomplir et qui est resté depuis comme une sorte d’automatisme : ne pas m’endormir avec un livre laissé ouvert auprès de moi. On ne peut pas dormir tranquille à côté d’un livre ouvert, comme si on n’était pas sûr de ce qui allait en sortir. »

 

Entretien

Sa place dans l'histoire de la littérature

J. M. G. Le Clézio a beaucoup lu, en anglais et en français. Ses influences sont très variées. Dans son discours à l’académie de Suède, il dédie son prix Nobel à une bonne cinquantaine d’écrivains de tous horizons. J.M.G. Le Clézio est l’écrivain par excellence d’une littérature-monde. Néanmoins, il met lui-même en avant le nom de Salinger et son Attrape-coeur comme le déclencheur de sa première œuvre littéraire.

Si l’on veut le situer dans les constellations de la littérature française, Le Clézio serait le centre géométrique d’un triangle J.J. RousseauLautréamontHenri Michaux. Comme J.-J. Rousseau, Le Clézio se méfie du nombre et voit dans l’organisation des sociétés occidentales une catastrophe pour l’humanité. Son regard contemplatif rêve d’innocence et de fusion avec la nature. Par un autre côté, la révolte totale et la liberté absolue de Lautréamont ont une présence évidente et revendiquée dans ses œuvres. Enfin, et surtout dans ses premiers livres, Le Clézio fait beaucoup penser à Henri Michaux, par le repli sur soi, le sentiment d’étrangeté du monde et des conventions humaines.

Un écrivain extraordinaire

Dans ses livres, J.M.G. Le Clézio cherche à capter la vibration de la matière, l’être profond des quatre éléments. C’est ce qui fait de lui un écrivain à part. Au fond, les dilemmes psychologiques, les questionnements métaphysiques, la petite cuisine de l’individu lui sont assez indifférentes. On ne trouvera pas de réflexion dans ses oeuvres, très peu de raison, d’esprit, d’humour. Pour lui, les hommes brillent lorsqu’ils se laissent traverser par le cosmos, non quand ils tentent misérablement de faire valoir leur individualité.

Ce qui l’intéresse, c’est le vent de la mer, l’écorce des arbres, la lave des volcans, et les mots eux-mêmes, vibrations sonores ou bien formes encrées sur papier. Pour sentir tout ceci, Le Clézio a des moustaches de chat. Et pour le transmettre, une écriture qui ajoute elle-même à la beauté du monde.

Signatures

« On peut commencer par oublier les noms, et les signatures. Il y a trop de signatures, partout. »

 

La Guerre

Œuvres majeures

1963

Le Procès-verbal

Adam Pollo se retranche de la société. Individu aux contours très flous, à la limite de la folie délirante, il ne dispose pas de ce processeur qui organise et classe nos sensations de manière rassurante. Ce livre valut à J.M.G. Le Clézio le prix Renaudot et la notoriété littéraire. Il a peut-être un peu vieilli.

« Adam, nom de Dieu, j’ai du mal à m’en aller au milieu de toutes ces baraques, entendre leurs cris, râles, raisonnements, etc., écouter tout seul dans un coin du mur. Tôt ou tard, il faut lâcher un mot, dire, oui, merci, pardon, le temps est superbe ce soir mais quand même il faut avouer qu’il était hier moi je sors direct du collège, et, il est juste, il serait juste que ça cesse ces saloperies-là, et tout cela, inutile, crétin, foutu bavardage qui a fait que je suis là, ce soir, manquant d’air, de cigarettes, et guetté par la malnutrition, à me demander pourquoi il n’y aurait pas un tout petit peu plus de choses inimaginables.»

1967

L'extase matérielle

Dans cet essai profondément original, Le Clézio partage sa vision du monde avec une langue sensible, claire, sans se plier aux codes d’un discours trop méthodique. L’un des chefs d’œuvre de l’auteur.

« Chercher au-delà des mots, au-delà de l’intelligence. Chercher avec tous les sens grand ouverts, et avec les autres moyens inconnus, la voie de la communication avec la matière. »

1967

Terra Amata

A mi-chemin entre Raymond Queneau et Henri Michaux, Le Clezio joue avec le langage et met en scène un héros qui se cogne à la société, Chancelade.

« Les grondements des moteurs, les cris, les klaxons, les tapotements des talons aiguilles, les grincements des semelles, les froissements des étoffes, les aboiements des chiens, les hurlements des réacteurs, les sirènes, les sonneries des téléphones, les lourds murmures de la musique, tout revenait sans répit, se mélangeait, se fondait, ou bien se séparait indéfiniment. C’étaient les échos, les échos des échos. Il n’y avait plus rien de vrai, ou de réel. »

1970

La Guerre

Typique de la première manière de Le Clézio, La Guerre est un récit inclassable exprimant l’affairement absurde et la démesure industrielle du monde occidental. Un livre violent et puissant.

« La guerre, c’est quand tout le monde est pris par la violence. C’est quand il n’y a plus de silence, ni de sommeil. C’est quand les villes brûlent, jour et nuit, quand les machines ouvrent et ferment leurs clapets sans relâche. La guerre, c’est 12 000 tours/minute, vingt mètres à la seconde, grossi 30 000 fois, Mach 2, G 6, obturé au 2000ème…»

1978

Mondo et autres histoires

Ce recueil de nouvelles marque le commencement d’une autre façon d’écrire pour Le Clézio, plus classique et sereine, et comme l’esquisse d’une réconciliation possible avec les hommes.

« Quand on jeûne, c’est qu’on n’a pas envie de nourriture ni d’eau, parce qu’on a très envie d’autre chose, et que c’est plus important que de manger ou de boire. »
« Et de quoi est-ce qu’on a envie, alors ? » demandait Alia.
« De Dieu », disait Martin.

1980

Désert

Désert est le plus grand succès de J.M.G. Le Clézio. Le roman tresse deux récits distincts : la défaite des tribus contre la colonisation française du Maroc au début du XXe siècle, et la trajectoire d’une jeune fille entre le désert et la France dans les années 70.

« C’était comme s’il n’y avait pas de noms, ici, comme s’il n’y avait pas de paroles. Le désert lavait tout dans son vent, effaçait tout. Les hommes avaient la liberté de l’espace dans leur regard, leur peau pareille au métal. La lumière du soleil éclatait partout. Le sable ocre, jaune, gris, blanc, le sable léger glissait, montrait le vent. Il couvrait toutes les traces, tous les os. Il repoussait la lumière, il chassait l’eau, la vie, loin d’un centre que personne ne pouvait reconnaître. Les hommes savaient bien que le désert ne voulait pas d’eux: alors ils marchaient sans s’arrêter, sur les chemins que d’autres pieds avaient déjà parcourus, pour trouver autre chose. »

1985

Le Chercheur d'or

L’île Maurice, les embruns et le vent de la mer imprègnent ce roman contemplatif à mi-chemin entre le rêve et la réalité, entre l’errance et la quête initiatique.

« J’ouvre les yeux et je vois la mer. Ce n’est pas la mer d’émeraude que je voyais autrefois, dans les lagons, ni l’eau noire devant l’estuaire du Tamarin. C’est la mer comme je ne l’avais jamais vue encore, libre, sauvage, d’un bleu qui donne le vertige, la mer qui soulève la coque du navire, lentement, vague après vague, tachée d’écume, parcourue d’étincelles. »

1988

Le Rêve mexicain

Les sociétés précolombiennes d’Amérique centrale fascinent J.M.G. Le Clézio, qui restitue dans ce magnifique essai ce qui s’est joué dans la conquête de l’empire aztèque par Hernan Cortès : l’engloutissement d’une civilisation structurée par des rites complexes et animée par des questions essentielles.

« Dans cet affrontement entre l’Amérique et l’Occident, entre les dieux et l’or, on aperçoit bien où est le civilisé, où le barbare. Malgré les sacrifice sanglants, malgré l’anthropophagie rituelle, malgré la structure tyrannique de cette théocratie, il n’y a pas de doute que ce sont les Aztèques -comme les Mayas, ou les Tarasques – qui détiennent la civilisation.  »

2006

Ourania

Sous des allures bienveillantes, les sciences humaines souffrent des passions malsaines de l’occident : l’appétit de pouvoir et de domination. C’est ce que confirme le voyage au Mexique d’un géographe qui découvrira malgré tout le rêve d’une communauté idéale, Campos.

« Je voudrais lui demander pardon, pardon pour tout ce que les hommes lui ont fait, pardon pour les humiliations, les rires de mépris. Pardon pour l’avoir arrachée à son pays natal, pour l’avoir livrée aux bourreaux. Pour l’inceste, le viol, la destruction. Pour avoir fait de son corps un objet à vendre. Et pardon pour en avoir fait un objet d’étude, d’avoir été complice du regard indécent des étudiants et des chercheurs, des anthropologues comme on dirait des anthropophages.  »

2008

Ritournelle de la faim

Depuis ses premières oeuvres, Le Clézio est hanté par le thème de l’origine. Avec la maturité, la question a pris dans ses œuvre un tour un peu plus autobiographique. Ici, la guerre fait irruption dans la vie de sa mère et de sa famille.

« Des gens mouraient, à Nankin, en Erythrée, en Espagne, les camps de réfugiés près de Perpignan débordaient de femmes et d’enfants qui n’attendaient que le mot du gouvernement qui les sortirait de ce cloaque et leur rendrait la liberté. Et ici, rue du Cotentin, dans le salon baigné par le doux soleil printanier, le bruissement des langues tissait un nid protecteur, un havre, une amnésie tranquille et sans conséquence. »