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Désir sacré

Johann Sebastian Bach, Toccata & Fugue en ré mineur, BWV 565, par l’ensemble Sinfonity (13 guitares électriques). Enregistrement en direct, 2014.

La vie de Paul Claudel

Buste de Paul Claudel à 16 ans par sa soeur Camille.

Paul Claudel naît en aout 1868 dans la sombre terre du Tardenois. La famille Claudel vit en vase clos dans une atmosphère électrique. Paul et sa grande sœur Camille manifestent un tempérament violemment artistique, elle avec la matière, lui avec les mots. On déménage à Paris. Mais Paul se sent oppressé et déboussolé dans la grande ville. Adolescent, il ne sait comment concilier le matérialisme du temps, la science triomphante et l’énergie anarchique qu’il sent en lui. Le jeune homme étouffe et désespère. C’est alors que la lecture de Rimbaud vient créer chez lui un premier appel d’air, en lui donnant l’impression « presque physique » du surnaturel .

La grâce

Ce premier évènement est bientôt suivi d’un autre. Paul a 18 ans lorsqu’il est traversé par la grâce, un soir de Noël à la cathédrale Notre-Dame de Paris. La foi animera désormais son existence entière. Il écrit ses premiers drames où bouillonnent une violence et un génie verbal qui détonnent avec la poésie de son temps (Tête d’or, La ville). Avide de voir le monde, Paul passe avec succès le concours des Affaires étrangères. Adieu l’Europe ! Claudel part pour les Etats-Unis, puis pour la Chine dans la voie consulaire.

Claudel raconte sa conversion

Tout va bien pour le jeune célibataire endurci qui réalise ses rêves de voyage et d’écriture en Asie (Connaissance de l’Est, 1900), lorsqu’il tombe passionnément amoureux de Rosalie, une femme mariée avec qui il aura même un enfant. Elle le quitte. Paul se mariera sans amour. De ce bouleversement sortira l’un de ses drames les plus poignants, Partage de midi.

Il y a en Claudel l’énergie d’un chaos constamment dominé. Sa sœur géniale Camille, en revanche, est submergée par la folie et doit être internée à l’âge de 48 ans dans un asile dont elle ne sortira jamais. Paul, lui, poursuit son itinéraire diplomatico-littéraire sans appuis familiaux ni goût pour les mondanités. Il réussira une carrière diplomatique brillante grâce à une insatiable curiosité et à son sens de la négociation, jusqu’à devenir ministre plénipotentiaire au Brésil, ambassadeur de France au Japon et aux États-Unis. Les premières heures du jour sont consacrées à l’écriture de son œuvre poétique et théâtrale très à l’écart des modes.

Patriarche chrétien intransigeant, il fait tonner son insupportable génie jusqu’à un âge avancé et s’amuse comme un enfant à mettre en scène ses pièces de théâtre avec Jean-Louis Barrault, après-guerre. Claudel meurt en 1955, après avoir mangé trop de crêpes à la chandeleur.

 

Paul Claudel par lui-même

Courts extraits des 41 entretiens entre Paul Claudel et Jean Amrouche, réalisés en 1951. Frémeaux diffusion.

Sa place dans l'histoire de la littérature

Claudel appartient à la génération de 1870 : celle des Paul Valéry, Marcel Proust, André Gide, Colette. Pourtant, il est très différent d’eux. Claudel ne boit pas aux mêmes sources que ses contemporains : plutôt que des classiques français du XVIIe siècle, il s’inspire de la Bible, d’Homère, d’Eschyle, de Shakespeare. D’autre part, son théâtre est imprégné des formes dramatiques qu’il a vues en Chine et au Japon.

A une époque où la littérature remettait en question la possibilité même que le monde ait un sens, les livres de Claudel ont pour principe que tout veut dire quelque chose. Il est aussi affirmatif que Gide est interrogatif. Son christianisme apologétique l’a plutôt marginalisé. S’il est toujours lu et mis en scène, ce n’est pas pour sa foi intransigeante : c’est par la force de son génie poétique.

La foi de Claudel, un témoignage d'Henri Guillemin

Un écrivain extraordinaire

Claudel est un homme de contrastes et de chocs thermiques. Le tiède n’est pas sa température de prédilection. Dans la première version de Tête d’or (écrite à 20 ans), la princesse clouée à un arbre crache au visage de son tortionnaire. On est très loin de Racine. C’est que Claudel met tout sur la table : le sang, les tripes, l’esprit, l’âme, les contradictions du désir. Il est sauvage et entier. De ce fait, sa poésie ne se coule pas dans un moule : elle crée sa propre forme.

Qu’elle éclate en répliques cinglantes lors de confrontations qui ressemblent à des combats de boxe (Le Pain dur) ou bien qu’elle s’élève en des chants lyriques (Cinq grandes odes, La Cantate à trois voix), son écriture est toujours extrêmement intense, comme ces masques africains dotés de charges magiques.

Quoi qu’il fasse, drame, prose, ode, Paul Claudel est toujours un poète. Mais il est peut-être à son meilleur comme dramaturge, par sa compréhension extrêmement concrète du théâtre, par sa connaissance des traditions du No et du Kabuki, et par sa langue faite pour être incarnée. Les comédiens aiment jouer Claudel et ils se disent souvent transformés par cette expérience.

Le théâtre

« L’homme s’ennuie, et l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance.

Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c’est pour cela qu’il va au théâtre.

Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.

Et il pleure et il rit, et il n’a point envie de s’en aller. »

 

L’Échange (1ère version)

Œuvres majeures

Théâtre

1890

Tête d'Or

Premier drame abouti publié par l’auteur, Tête d’Or a frappé les contemporains par son souffle et sa force. Un œuvre marquée par la véhémence du désir et l’angoisse de la mort.

« Toutes les maladies veillent sur nous, l’ulcère et l’abcès, l’épilepsie et le hochement de la tête, et à la fin vient la goutte et la gravelle qui empêche de pisser.

La phtisie fait son feu ; les parties honteuses moisissent comme du raisin ; et le sac du ventre

Crève et vide dehors ses entrailles et les excréments ! »

1894

L'échange

Deux femmes, deux hommes : un quatuor claudélien où chacun joue furieusement sa partition : sauvagerie, fidélité, désir d’argent et de liberté, désir amoureux.

« Je n’aime pas ce vieux pays. Ca sent le vieux comme le fond d’un vase.

Il y a trop de routes et l’on sait toujours où l’on est,

Et les gens vous regardent comme un chien qui n’a pas de collier. »

1906

Partage de midi

Sur un bateau, un amour impossible se noue entre deux êtres démunis devant la passion. L’un des chefs d’œuvre de l’auteur, avec des moments sublimes qui font frissonner.

« Dis, petit Mesa

Est-ce qu’il n’est pas meilleur

De ne plus se retrouver supérieur à personne, mais ce qu’il y a de plus faible,

Un homme entre les bras d’une femme, comme une chose par terre

Qui ne peut plus tomber, rien qu’un pauvre homme à la fin entre mes bras. »

1911

L'Otage

Plus sec et nerveux que les drames précédents, le premier volet de la trilogie Coûfontaine (L’Otage, Le pain dur, Le père humilié) met aux prises deux personnages opposés, à la fin de l’empire napoléonien : Turelure, préfet dépourvu de scrupules, et Sygne de Coûfontaine, royaliste dévouée à sa cause.

« Seigneur ! que nous étions jeunes alors, le monde n’était pas assez grand pour nous !

On allait flanquer toute la vieillerie par terre, on allait faire quelque chose de bien plus beau !

On allait tout ouvrir, on allait coucher tous ensemble, on allait se promener sans contrainte et sans culotte au milieu de l’univers régénéré, on allait se mettre en marche au travers de la terre délivrée des dieux et des tyrans !

C’est la faute aussi de toutes ces vieilles choses qui n’étaient pas solides, c’était trop tentant de les secouer un petit peu pour voir ce qui arriverait ! »

1918

Le Pain dur

Suite de L’Otage. Turelure est vieux. Il a peur de mourir. Autour de lui, deux femmes et son fils vont tout faire pour le conduire à lâcher son argent. Un drame shakespearien, désespéré mais tissé par des réparties brillantes. Chef d’œuvre.

« TURELURE—Non, Lumîr. Ah, regardez-moi ainsi ! Dieu, que vous êtes jeune! Jeune et dangereuse en même temps, mais c’est ce danger que j’aime.

Faites-moi oublier la mort ! Faites-moi oublier le temps ! Faites-moi trouver intérêt à quelque chose hors de moi !

Utilisez en moi ce qui était fait pour servir et à quoi personne n’a jamais cru. »

1929

Le Soulier de satin

Dans cette œuvre baroque, divisée en quatre journées (compter environ douze heures pour la durée totale !), Claudel jubile, laisse aller son génie dans un joyeux désordre apparent mais en tissant des fils secrets. On se retrouve au Panama, au Japon, en Espagne, sur la mer. Du théâtre incomparable.

« J’ai juré que jamais plus je ne me laisserais mettre dans une prison.
J’ai juré que jamais je ne supporterais un gros corps d’homme entre le soleil et moi!
Je ne veux pas vivre dans la pâte !
Je veux quelqu’un qui m’aide et non pas qui m’engloutisse !  »

Poésie

1900

Connaissance de l'Est

En 1900, Paul Claudel est un jeune diplomate, enfin sorti du bocal parisien. Découvrant la Chine et le Japon, il transmet ici son regard de poète sur des terres qui l’attirent, le fascinent, le passionnent.

« Je peindrai ici l’image du Porc.

C’est une bête solide et tout d’une pièce ; sans jointure et sans cou, ça fonce en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe, il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec énormité. Ce n’est point le frétillement du canard qui entre à l’eau, ce n’est point l’allégresse sociable du chien ; c’est une jouissance profonde, solitaire, consciente, intégrale. Il renifle, il sirote, il déguste, et l’on ne sait s’il boit ou s’il mange ; tout rond, avec un petit tressaillement, il s’avance et s’enfonce au gras sein de la boue fraîche ; il grogne, il jouit jusque dans le recès de sa triperie, il cligne de l’œil. »

1911

Cinq grandes odes

Ces poèmes intensément lyriques sont une célébration du monde pleine de jubilation, panique et catholique à la fois.

« Où que je tourne la tête j’envisage l’immense octave de la création ! le monde s’ouvre et, si large qu’en soit l’empan, mon regard le traverse d’un bout à l’autre. »

1911

La Cantate à trois voix

Dans cette œuvre polyphonique extraordinairement subtile, l’éphémère et l’éternité, l’amour et la mort se nouent dans les voix de trois femmes.

« Ah, qu’il reste un peu à l’écart ! Je le veux, qu’il reste encore un peu de temps à l’écart !

Puisque où serait la foi, s’il était là ? où serait le temps ? où le risque ? où serait le le désir ? et comment devenir pleinement, s’il était là, une rose ? »

Prose

1935

Conversations dans le Loir-et-Cher

Six personnages brassent « tout ce qui s’agite de souvenirs et d’idées hétéroclites dans la tête d’un voyageur comme les clous dans une calebasse mexicaine ». Conversations stimulantes, vivantes, toujours inattendues !

« ACER. – Vous espérez que les hommes se dégoûteront de l’argent.

FURIUS. -J’espère dans le désespoir ! L’ennui de la société moderne est tel que les gens finiront par ne plus le supporter. Il n’y a qu’à regarder dans les hôtels ces simulacres d’hommes et de femmes dansant éternellement. Voilà notre cime ! Voilà le bonheur humain ! Voilà notre paradis ! Voilà tout ce que la civilisation est capable de procurer, voilà la suprême plateforme de cette pyramide monstrueuse dont la base est formée de tant de richesses et de peuples asservis. »

Les œuvres de Paul Claudel

Théâtre

Tête d’Or (1890, deuxième version en 1894)

La Ville (1890, deuxième version en 1898)

L’Échange (1894, deuxième version en 1951)

Partage de midi (1906, deuxième version en 1949)

L’Annonce faite à Marie (1911, deuxième version en 1948)

L’Otage (1910)

Le Pain dur (1918)

Le Père humilié (1919)

Le Soulier de satin (version intégrale : 1924, version pour la scène : 1943)

Le Livre de Christophe Colomb (1927)

Jeanne d’Arc au bûcher (1935)

La Lune à la recherche d’elle-même (1948)

Poésie

Connaissance de l’Est (1900)

Cinq grandes Odes (1911)

La Cantate à trois voix (1911)

Essais

L’Art poétique (1907)

Positions et propositions (1928)

Conversations dans le Loir-et-Cher (1935)

L’œil écoute (1946)

Écrits intimes

Journal (1968)