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Les aventures de l'écriture

Beethoven, extrait de la Grande fugue (Op. 133). Quatuor Talich.

Dans l’écriture de Claude Simon, les voix et les thèmes se croisent à la manière d’une fugue musicale.

La vie de Claude Simon

Claude Simon naît en 1913 à Tananarive (Madagascar). Il est issu d’une lignée de militaires. Dans les premiers mois de la grande guerre, son père est tué à cheval en menant la charge de son régiment. Sa mère meurt lorsqu’il a 11 ans. A la fin de sa scolarité passée à Paris, il hérite d’un petit pactole puis de propriétés vinicoles qui lui ôtent le souci de gagner sa vie. Claude mène d’abord une vie de dilettante. Il s’essaie à la peinture, à la photographie. Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, le jeune homme s’engage volontairement dans la cavalerie. Hélas ! Son régiment est écrasé par la Wehrmacht et la guerre sera pour lui une terrible débâcle. Claude Simon est fait prisonnier et envoyé en Allemagne. Il se fait rapatrier grâce à une ruse et s’évade une fois en France, où il se met au service de la Résistance.

Une nouvelle voix littéraire

Après-guerre, Claude Simon continue à chercher sa voie dans l’écriture. Il publie quelques romans insatisfaisants et finit par aboutir à une œuvre profondément originale et novatrice : Le Vent, que les éditions de Minuit publient en 1957. Au prix d’un énorme travail d’écriture, ce roman sera bientôt suivi par L’Herbe et surtout La Route des Flandres qui fera de Claude Simon un écrivain vraiment reconnu. Le prix Nobel vient consacrer son œuvre en 1985. Claude Simon meurt en 2005.

Langage

«  L’écrivain, c’est celui qui travaille son langage. »

 

Entretien avec Monique Joguet

Claude Simon dans l'histoire de la littérature

Dans le premier tiers du XXe siècle, Proust, Céline, James Joyce et William Faulkner publient des romans qui ne ressemblent plus du tout à ce qui se faisait jusqu’alors. Ils ne respectent plus les conventions narratives habituelles. La chronologie, le principe de causalité, la place du narrateur sont bouleversés. Claude Simon fait partie des nombreux écrivains marqués par ces nouvelles propositions.

Le nouveau roman

En 1957 paraissent Le Vent de Claude Simon, La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, Tropismes de Nathalie Sarraute, La Modification de Michel Butor (tous aux éditions de Minuit). Frappé par l’originalité et l’air de famille de ces livres, le critique Émile Henriot parle de « nouveau roman ». Qu’est-ce que le nouveau roman ? Selon la formule percutante de son théoricien Jean Ricardou, ce n’est plus « l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture ». C’était un peu le rêve de Flaubert

Après la mort de Dieu, ce mouvement proclame la mort du personnage et même de la fonction de représentation associée au roman. L’écriture elle-même, voici le sujet du livre ! Le nouveau roman, qui s’est éteint dans les années 1980, aura été le dernier mouvement littéraire en France (jusqu’à nouvel ordre !). Sans se réduire aux aspects parfois un peu théoriques ou dogmatiques de cette école, les livres de Claude Simon ont des affinités avec cette démarche alors nouvelle.

Extrait du discours de réception du prix Nobel de littérature.

Pas à pas

« Je ne connais d’autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c’est-à-dire mot à mot, par le cheminement de l’écriture.  »

Orion aveugle

Le plaisir de lire Claude Simon

Même si ses romans ont parfois un fil narratif (Le Vent, La Route des Flandres), Claude Simon n’est pas un conteur ou un scénariste à la manière d’Alexandre Dumas : il va là où l’écriture le mène, explore les associations des mots, des sensations, les chants et contrechants de l’écriture. L’ensemble est profondément médité : Claude Simon accorde une grande attention à la composition autant qu’au détail.

Son écriture suscite des passions violentes : une ineffable révélation ou un rejet catégorique. Il ne laisse pas indifférent. En France et à l’étranger (où il a eu beaucoup de succès), de nombreux lecteurs s’immergent dans ses romans avec une délectation incomparable. Cette émotion littéraire éclot plus facilement dans certains conditions. Le plaisir de lire Claude Simon naît à la fois de l’attention sur la durée, d’une confiance et d’un lâcher-prise ; il faut accepter de monter dans le bateau, de perdre de vue la côte et même de voir le capitaine jeter par dessus-bord les instrument de navigation. Vous entrerez alors dans des espaces nouveaux où seule la littérature peut vous emmener !

Désir d'écrire

« … l’art s’autogénère pour ainsi dire par imitation de lui-même : de même que ce n’est pas le désir de reproduire la nature qui fait le peintre mais la fascination du musée, de même c’est le désir d’écrire suscité par la fascination de la chose écrite qui fait l’écrivain.. »

 

Discours de Stockholm

Œuvres majeures

1957

Le Vent

Un homme vient dans une ville du sud prendre possession de ses terres. Le vent souffle. La population est hostile, la bourgeoisie méprisable.

« cette colère (…) en premier lieu contre elle-même, c’est à dire sa condition forcée de femme, et plus encore que de femme : de jeune fille, comme une aggravation du premier état, de cette disponibilité qui est comme l’essence même du genre féminin : cette conscience de n’être qu’un vide, un récipient, un vase, ou plus brutalement un trou, attendant d’être rempli, et encore cette virginité, cet hymen, cette fragile membrane, ce mur qui les sépare (les jeunes filles) de ce futur qui les attire et les indigne à la fois, de sorte que tout effort en vue d’échapper ou de dominer leur condition tourne irrémédiablement à une tentative d’autodestruction. »

1958

L'Herbe

Une femme va mourir et rejoindre la terre, une autre femme se débat dans l’amour. Livre exigeant, L’Herbe fait exister de manière sensible le passage du temps et l’individualité aux prises avec l’ordre des choses.

« Oui, je sais, ça ne va pas ensemble : une jeune fille, les effluves de jasmin, et ce corps prêt à tomber en poussière, si familier du temps qu’il semble le temps lui-même, et ces mains jaunes et décharnées – et par endroits polies comme de l’ivoire – luttant contre leur propre maladresse et la rouille de la boîte (comme si la rouille et la maladresse n’étaient qu’une seule chose, toujours la même : les années, le temps) »

1960

La Route des Flandres

Le livre le plus célèbre de Claude Simon se noue autour de la débâcle de Juin 1940. Ce drame national dévoile et creuse des déroutes individuelles dans une spirale infernale.

« … ces dernières heures où la bataille semble ne plus continuer qu’en vertu de la vitesse acquise, ralentir, reprendre, s’éteindre, se rallumer en d’absurdes et incohérents sursauts pour s’affaler de nouveau tandis que l’on recommence à entendre chanter les oiseaux, se rendant compte tout à coup qu’ils n’ont jamais arrêté de chanter, pas plus que le vent n’a cessé de balancer les branches des arbres… »

1969

La Bataille de Pharsale

Comme souvent chez Claude Simon, la perspective s’efface dans le présent de l’écriture. La bataille antique (Pharsale), un match de football, une scène de sexe, la présence (et l’indifférence) de la nature sont mis au même plan dans des phrases qui s’engendrent les unes les autres.

« le massacre aussi bien que l’amour est un prétexte à glorifier la forme dont la splendeur calme apparaît seulement à ceux qui ont pénétré l’indifférence de la nature devant le massacre et l’amour »

1981

Les Géorgiques

Ce roman est tissé de plusieurs fils : un général de la Révolution et de l’Empire, un intellectuel anglais dans la guerre civile espagnole, un avatar de l’auteur pendant l’invasion de la France en 1940. Sans oublier la nature, intensément présente et qui nous rappelle la fatale décomposition de toute tentative d’individualité.

« La lumière est d’une qualité perlée et blondit peu à peu. Les ombres commencent à raccourcir lorsqu’éclatent les premiers coups de feu. Des chevaux se cabrent ou s’écroulent et la tête de l’escadron qui s’était engagée sur la droite dans un chemin de traverse reflue en désordre vers la croisée des chemins où elle se heurte aux cavaliers du dernier peloton attaqués par derrière en arrivant au galop. Ils comprennent alors qu’ils sont tombés dans une embuscade et qu’ils vont presque tous mourir. Aussitôt après avoir écrit cette phrase il se rend compte qu’elle est à peu près incompréhensible pour qui ne s’est pas trouvé dans une situation semblable et il relève sa main. »

1989

L'Acacia

Découpé en des chapitres détruisant un ordre chronologique linéaire, L’Acacia revisite les cataclysmes historiques et personnels de l’écrivain à travers des images ou des visions extraordinairement concrètes.

« Une poêle sans doute pendait, mal arrimée, se balançant et cognant à chaque cahot avec un bruit de quincaillerie qui s’approcha, grandit, passa, décrut. pendant un moment on l’entendit encore tinter, comme une cloche, tandis que s’éloignaient peu à peu les grincements d’essieux, comme une dernière protestation, un gémissement tenace, de plus en plus faible, ténu, recouvert à la fin, noyé, sous le monotone crépitement des sabots, seul de nouveau à remplir la nuit. »

1997

Le Jardin des Plantes

« Regarder, c’est-à-dire oublier le nom des choses qu’on voit », écrit Paul Valéry. Claude Simon travaille la langue au plus près des sensations dans ce roman qui fait d’un certain milieu littéraire parisien « une volière »…

« … il serait plus exact de dire non pas que j’avais fait la guerre mais que je m’étais simplement trouvé dedans comme on peut se trouver pris dans un orage ou dans un cataclysme et qu’encore ce n’étaient pas les mots (orage, cataclysme) justes parce qu’ils devaient donner une impression de dévastation, de paysage bouleversé, lunaire, alors que c’était vert, opulent, pastoral, sauf qu’à certains moments sans crier gare cette chose vous arrivait tout à coup dessus : les explosions, les crépitements des mitrailleuses, le bruit assourdissant, les cris, les ordres, les contrordres, les hennissements, les chevaux emballés, après quoi tout redevenait calme et alors vous n’aviez plus qu’à chercher à retrouver votre souffle et à vus compter. Chaque fois un peu moins. »

2001

Le Tramway

Un vieil homme malade se souvient du tramway qu’il empruntait dans son enfance. Il se remplit, se désemplit, poursuit obstinément son trajet à la manière des phrases de l’écrivain… Un petit livre qui peut être une bonne porte d’entrée dans l’univers de Claude Simon !

« Si le terminus pour ainsi dire domiciliaire de la ligne du tramway se situait presque au cœur de la ville, par contre, à son autre extrémité, les rails couverts de rouille disparaissaient, quelques mètres après un butoir, sous une couche de sable dont le vent de mer les recouvrait avec la même patiente obstination. »

Les œuvres de Claude Simon

Le Tricheur (Paris, Sagittaire, 1945)

La Corde raide (Paris, Sagittaire, 1947)

Le Vent : Tentative de restitution d’un retable baroque (Paris, Minuit, 1957)

L’Herbe (Paris, Minuit, 1958)

La Route des Flandres (Paris, Minuit, 1960)

Le Palace (Paris, Minuit, 1962)

Histoire (Paris, Minuit, 1967)

La Bataille de Pharsale (Paris, Minuit, 1969)

Orion aveugle (Paris, Skira, 1970)

Les Corps conducteurs (Paris, Minuit, 1971)

Triptyque (Paris, Minuit, 1973)

Leçon de choses (Paris, Minuit, 1975)

Les Géorgiques (Paris, Minuit, 1981)

La Chevelure de Bérénice (Paris, Minuit, 1984)

Discours de Stockholm (Paris, Minuit, 1986)

L’Invitation (Paris, Minuit, 1987)

L’Acacia (Paris, Minuit, 1989)

Le Jardin des Plantes (Paris, Minuit, 1997)

Le Tramway (Paris, Minuit, 2001)