Littératurefrançaise.net

Joies et douleurs d'un amour maternel

La vie de Madame de Sévigné

Marie de Rabutin-Chantal est née en février 1626 au 1 bis de la place des Vosges. Perdant son père puis sa mère, elle est élevée à partir de ses onze ans à l’hôtel de Coulanges par un oncle qui prendra grand soin de son éducation. Elle épouse à 18 ans le marquis de Sévigné, dont elle aura deux enfants, Françoise et Charles. Son mari est tué en duel pour les beaux yeux de sa maîtresse, sept ans plus tard. Marie a 25 ans. Elle ne se remariera pas. Sa fille Françoise grandit, brille bientôt de mille feux. Elle est introduite à la cour. Mais en 1671, cette fille adorée par sa mère épouse François de Grignan et part vivre dans les terres de son mari, au sud de la drôme (voir ci-contre).

Pour Madame de Sévigné, c’est un déchirement. Hantée par l’éloignement de sa fille, elle lui écrit plusieurs lettres par semaine. Mais ne l’imaginons pas recluse dans sa chambre : elle sort beaucoup, voit ses amis (notamment le duc de La Rochefoucauld et Madame de La Fayette), danse avec le roi, passe du temps sur ses terres bretonnes, se passionne pour les tragédies de Corneille, et raconte tout ce quotidien dans ses lettres où il nous semble entendre sa voix. Elle rendra visite à sa fille trois fois, et mourra au cours de son dernier séjour chez elle, à l’âge de 70 ans. Ses lettres seront publiées après sa mort et suffiront à faire de Madame de Sévigné une figure importante de la littérature française.

Une belle invention

« Que c’est une belle invention que la poste ! »

 

A sa fille, dimanche 12 juillet 1671

Madame de Sévigné et son époque

N’oublions pas que la marquise ne pense pas une seconde être considérée comme écrivain : elle écrit à sa fille, tout en sachant que ses lettres sont lues souvent en public et parfois recopiées.

Rien n’est donc plus éloigné d’elle que la prétention d’être une conscience de son temps. Elle est une aristocrate à une époque où le nom comptait plus que tout : la vie des paysans ou des bourgeois lui est totalement indifférente. En revanche, elle prend intérêt à tout ce qui entre dans les frontières de son monde, s’échauffe, prend parti, et c’est toute la vie du « grand siècle » qui défile : le procès de Nicolas Fouquet, l’exécution de Madame de Brinvilliers ou de la Voisin, les fêtes et la vie de la cour sont relatés dans des lettres qui font de Madame de Sévigné un grand témoin de son époque.

Un archévêque en roue libre

« L’archevêque de Reims revenait hier fort vite de Saint-Germain, c’était comme un tourbillon : il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre, tra, tra, tra; ils rencontrent un homme à cheval, gare, gare ! ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne veut pas; et enfin le carrosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus, que le carrosse en fut versé et renversé : en même temps l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusement, remontent l’un sur l’autre, et s’enfuient et courent encore, pendant que les laquais de l’archevêque et le cocher, et l’archevêque même, se mettent à crier : Arrête, arrête ce coquin, qu’on lui donne cent coups ! L’archevêque, en racontant ceci, disait : Si j’avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles. »

 

 

A sa fille, Paris, lundi 5 février 1674.

Sa place dans l'histoire littéraire

Madame de Sévigné tient une place singulière dans l’histoire de la littérature : celle d’un écrivain n’ayant jamais même esquissé un livre. Ses lettres seules ont suffi pour, de son vivant, lui donner une notoriété. Et il y a suffisamment de richesses en son talent pour qu’elles aient intéressé toutes les époques.

Son amour de la vie à la campagne et des paysages lui donnent parfois un air presque romantique. Et l’expression si délicate, passionnée et nuancée, de son amour pour sa fille fait bien souvent songer à Marcel Proust. Dans la Recherche du Temps perdu, l’épistolière est d’ailleurs considérée dans la famille du narrateur comme bien plus et bien autre chose qu’une femme d’esprit.

Romantisme

« J’ai trouvé ces bois d’une beauté et d’une tristesse extraordinaires. C’est une solitude faite exprès pour y bien rêver. Si les pensées n’y sont pas tout à fait noires, elles y sont au moins gris brun »

 

A sa fille, 25 septembre 1675

Hommage

« Eh bien, mon cher bon vieux, ta sacrée boutique de merde de tonnerre de Dieu t’encule-t-elle un peu moins ? (Voilà ce qui s’appelle un début de lettre à la Sévigné) »

 

Flaubert à Jules Duplan, 24 septembre 1861

Le plaisir de lire Madame de Sévigné

Toute l’éducation et la culture du XVIIe siècle se retrouvent chez Madame de Sévigné, avec un charme inimitable. Elle aime se divertir, et elle divertit par son style bondissant ; mais la solitude lui convient également et rien ne lui plaît davantage que de longues lectures l’hiver à la campagne. Sous l’air de la spontanéité, son écriture est tissée des fils d’une très grande culture. Son style est le type même de ce qui passait pour l’esprit français, et qui exaspérait tant Tolstoï ou Dostoïevski : jamais de pathos, si ce n’est sous forme d’hyperbole, ou avec un sourire en coin. Elle glisse, elle fait du patin à glace. Mais voici peut-être le comble de l’art : avec les moyens que permet l’élégance, avec le souci de plaire, Madame de Sévigné fait sentir une passion si dévorante qu’elle ne peut exister que dans la distance.

Signature de Madame de Sévigné
Le dessus de tous les paniers

« Je vous donne avec plaisir le dessus de tous les paniers, c’est-à-dire la fleur de mon esprit, de ma tête, de mes yeux, de ma plume, de mon écritoire; et puis le reste va comme il peut. Je me divertis autant à causer avec vous que je laboure avec les autres. »

 

A sa fille, 1er décembre 1675.

Compliment

« Elle était de ces gens qui ne devraient jamais mourir, comme il y en a d’autres qui ne devraient jamais naître. »

 

Roger de Bussy-Rabutin (son cousin)

Lettres