Voltaire
Ecrire pour agir
Ecrire pour agir
La vie de Voltaire
Un jeune insolent
François-Marie Arouet est né en novembre 1694 à Paris. Son père, roturier, notaire, a amassé une certaine fortune qui lui permet d’envoyer son fils dans le meilleur établissement de la capitale, le lycée Louis-le-Grand, tenu par les Jésuites. Ses camarades proviennent souvent des plus grandes familles du royaume. Esprit brillant, plein de répartie et d’à-propos, Voltaire se sent à l’aise dans la compagnie du gratin. Après ses études, il passe tout son temps dans les salons les plus en vue et n’a aucune intention de reprendre le métier de papa.
Après la mort de Louis XIV et à l’avènement du Régent, l’atmosphère est à la détente. Le jeune François-Marie prend peut-être un peu trop confiance et commence à faire paraître des récits insolents. Le pouvoir est irrité mais laisse faire. L’enfant-prodige fait paraître un ouvrage satirique soutenant que le Régent couche avec sa fille. Fini de rire : Arouet le jeune est arrêté par lettre de cachet et embastillé à l’âge de 23 ans. En attendant qu’on statue sur son sort, il écrit en prison une tragédie et travaille comme un forçat. Il prend le nom de Voltaire. On le libère au bout de onze mois. Il fait jouer sa tragédie : triomphe ! Voltaire écrit beaucoup, il écrit même notre première épopée nationale, la Henriade. C’est dans cette atmosphère de succès que va se produire un incident qui décidera de sa vie.
L'exil
En 1726, il croise à plusieurs reprises un petit esprit issu d’une grande famille, le duc de Rohan-Chabot, qui provoque le jeune Voltaire sur son récent changement de nom. « Je commence le mien, vous finissez le vôtre » aurait répliqué le bouillant jeune homme. Ulcéré, le jeune duc tend un piège à Voltaire et le fait bastonner dans la rue. Pour Voltaire, c’est une humiliation. Il demande à ses amis nobles chez qui il dîne tous les soirs, d’appuyer son action en justice. On lui fait comprendre que personne ne le soutiendra. Voltaire fulmine, prend des cours d’escrime, crie vengeance dans les rues de Paris. Pour protéger le duc, on finit par embastiller Voltaire : c’est le monde à l’envers !
Le pouvoir lui accorde l’exil. Il part pour l’Angleterre, apprend la langue et s’enthousiasme pour un pays qu’il juge bien plus avancé que la France en matière de mœurs et de gouvernement. Il finit par rentrer en France et rencontre Madame du Châtelet, femme de science et d’un caractère trempé qui sera l’amour de sa vie. Ensemble, au château de Cirey, ils étudient, écrivent, font du théâtre, elle lui apprend une rigueur de pensée qui lui fait parfois défaut. En guerre contre l’Église -et toutes les religions révélées-, il opère prudemment et désavoue la plupart de ses écrits polémiques à mesure qu’il les fait paraître. Madame du Châtelet meurt en couches en 1749. Chagrin terrible pour Voltaire.
Chez Frédéric II
Participant activement au mouvement encycopédiste, il est célèbre dans toute l’Europe comme auteur dramatique et promoteur des idées nouvelles. Frédéric II de Prusse, souverain sensible à l’esprit des Lumières dans cour très francophile, lui demande de devenir son conseiller spécial. Voltaire accepte et fait le voyage. Mais leur relation s’altère, et bientôt c’est une désillusion réciproque. Frédéric trouve Voltaire malhonnête et Voltaire trouve Frédéric manipulateur. Fâché d’être devenu la marionnette du roi, il quitte la Prusse au bout de trois ans, en 1753. Après quelques temps à Genève, il s’installe à Ferney, non loin de la frontière suisse.
La gloire européenne
Ayant construit une fortune considérable par des moyens plus ou moins propres, il achète un château sur cette terre et fait bientôt prospérer le canton par une administration intelligente. La soixantaine passée, Voltaire déborde d’activité : il fait paraître ses Contes philosophiques et s’engage de tout son poids contre les injustices produites par le fanatisme. Loin d’être isolé au pied des montagnes, il devient si célèbre en Europe qu’il reçoit en moyenne cinquante personnes à déjeuner chaque jour. Le pouvoir finit par lui permettre de revenir à Paris. Il y fait donc son retour à l’âge de 84 ans dans l’enthousiasme général et meurt quelques mois plus tard, en 1778.
« I am born to run through all the misfortunes of life. »
Lettre à M. Thieriot, 26 octobre 1726
« La vie n’est que de l’ennui ou de la crème fouettée. »
Lettre à Mme de Champbonin, 17 novembre 1764
Voltaire et son temps
Voltaire est un homme du XVIIIe siècle et des Lumières, c’est vrai, mais il est né au XVIIe. Très attaché à la liberté du commerce et de l’expression, il est aussi très conservateur en matière politique.
"Ecrasez l'infâme !"
Sa position vis-à-vis de la société de son temps est contrastée. A la suite de la bastonnade, Voltaire comprend qu’il ne sera pas traité par les nobles comme un égal. Pourtant, il ne deviendra jamais révolutionnaire comme Jean-Jacques Rousseau. Il essaiera de devenir le plus puissant possible, à sa manière : en gagnant beaucoup d’argent, en conseillant les princes, en pesant sur l’opinion publique. Mais l’indifférence de Voltaire vis-à-vis des injustices structurelles de la société laisse place à une colère inextinguible quand il s’agit de l’Église et plus généralement du fanatisme occasionné par les religions révélées. A la fin de ses lettres, il ajoutait souvent « Ecr. l’inf. » : Écrasez l’infâme, c’est-à-dire le fanatisme religieux, le pouvoir de l’Église catholique. Il demeurait convaincu qu’écrire, c’est agir, et que lui et ses amis encyclopédistes pourraient détruire ce que douze apôtres avaient commencé à construire.
[source : conférence d’Henri Guillemin]
Sa place dans l'histoire de la littérature
Voltaire aurait été bien fâché que ses œuvres les plus lues aujourd’hui soient ses contes. Même si ses tragédies auront été parmi les plus jouées par la comédie française jusque dans les années 1930, elles ont aujourd’hui complètement disparu du répertoire. Son ambition de devenir un grand poète classique a échoué. Son activité d’historiographe, avec Le Siècle de Louis XIV notamment, même si elle est dépassée aujourd’hui, a eu une importance non négligeable : Voltaire avait compris que l’écriture de l’Histoire ne pouvait se résumer à la recension des guerres et traités diplomatiques, mais qu’il fallait aussi analyser les échanges économiques et l’évolution des mœurs. Pourtant, ce qui nous touche aujourd’hui, et ce pour quoi il a laissé une empreinte ineffaçable dans la littérature, ce sont ses Contes philosophiques et ses écrits de polémiste, modèles de verve, d’humour et d’intelligence qui ont longtemps passé pour la condensation de l’esprit français, avec ce qu’il a d’attachant et d’irritant.
Pourquoi Voltaire est un écrivain extraordinaire
Ennemi de tout ce qui est pesant et prétentieux, Voltaire a fait briller un ton spirituel, ironique, léger, brillant, éloigné du sérieux et du pathétique. En lisant ses Contes ou bien son Dictionnaire philosophique, on reste enthousiasmé par sa capacité à dissoudre la bêtise et le fanatisme dans le ridicule. On éprouve un peu le même genre de satisfaction devant une gifle retentissante donnée à quelqu’un qui l’a bien mérité.
Mais il ne faut pas le réduire à son ironie, à sa malice. Comme le dit Flaubert, Voltaire ne rit pas, il grince. Sa correspondance si vivante le montre : en vérité, la misère, la violence et le fanatisme lui font bouillir le sang. Apprenant la réhabilitation de Calas après trois ans de combats furieux, il pleure de joie en serrant l’enfant du condamné dans ses bras.
Voltaire est extraordinaire par son activité infatigable, par ses combats et par son style, par sa vie et par son œuvre, indissolublement liées.
« De celui-là on peut bien dire qu’il est immortel. Dès qu’on a besoin de lui, on le retrouve tout entier. »
Flaubert, lettre à Edma Roger des Genettes, 27 mai 1878
Extraits
Les Lettres philosophiques
-
Sur le commerce
Lettres philosophiques - 1734
Contes
-
Micromégas rencontre les hommes
Micromégas - 1752
-
Candide au château
Candide - 1759
-
Candide et la guerre
Candide - 1759
-
Candide et l'esclave
Candide - 1759
Dictionnaire philosophique
-
Cuissage ou culage
Dictionnaire philosophique - 1764
-
Guerre
Dictionnaire philosophique - 1764
-
Inquisition
Dictionnaire philosophique - 1764
-
Intolérance
Dictionnaire philosophique - 1764
-
Japon
Dictionnaire philosophique - 1764
Pamphlets
-
Contre la superstition
Le Sermon des cinquante - 1762
Eclats de voix
« Vous savez que chez moi les grands hommes vont les premiers, et les héros les derniers. J’appelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de provinces ne sont que héros. »
A M. Thierot, 15 juillet 1735
« Enfin la langue française, milord, est devenue presque la langue universelle. À qui en est-on redevable ? était-elle aussi étendue du temps de Henri IV ? Non, sans doute ; on ne connaissait que l’italien et l’espagnol. Ce sont nos excellents écrivains qui ont fait ce changement. Mais qui a protégé, employé, encouragé ces excellents écrivains ? »
A Milord Hervey, 1er juin1740
« Adieu, ma chère nièce ; tâchez de venir nous voir avec des tétons rebondis et un gros cul. Je vous embrasse tendrement, tout maigre que je suis. »
A Mme de Fontaine, 8 janvier 1756
« Fanatiques papistes, fanatiques calvinistes, tous sont pétris de la même merde détrempée de sang corrompu. »
A d’Alembert, 12 décembre 1757
« Des infortunés qui ont à peine de quoi manger un peu de pain noir sont arrêtés tous les jours, dépouillés, emprisonnés, pour avoir mis sur ce pain noir un peu de sel qu’ils ont acheté auprès de leurs chaumières. La moitié des habitants périt de misère, et l’autre pourrit dans les cachots. Le cœur est déchiré, quand on est témoin de tant de malheurs. Je n’achète la terre de Ferney que pour y faire un peu de bien… »
A M. Le Bault, 18 novembre 1758
« Si j’osais, je me croirais sage, tant je suis heureux. »
A la marquise Du Deffand, 12 janvier 1759
« Ah Madame, que le monde est bête ! Et qu’il est doux d’être dehors ! »
A la marquise Du Deffand, 17 septembre 1759
« Mon cher frère, écr. l’inf. Je ne suis occupé que d’écr. l’inf. C’est la consolation de mes derniers jours. Dites écr. l’inf. à tous ceux que vous rencontrerez. »
A M. Damilaville, 5 février 1765