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La gourmandise

La vie de Colette

Gabrielle Colette naît en janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne. Elle grandit au sein d’une famille heureuse et aimante, dans l’enclos d’une propriété aux airs de paradis. A 20 ans, elle se marie à Willy, qui l’emmène à Paris et l’introduit dans les milieux artistiques et littéraires de la capitale. De quinze ans son aîné, Willy est un critique musical, mais aussi un producteur de littérature : élaborant des projets de romans à succès, il les fait écrire par des tâcherons, les corrige et les signe de son nom. Après avoir découvert le talent littéraire de sa femme, il la met elle aussi au travail et publie en 1900 Claudine à l’école. C’est un énorme succès, bientôt suivi par d’autres : la série des Claudine devient un phénomène de société.

Colette parle : le phénomène Claudine

L’entreprise littéraire marche à fond, et au théâtre, Polaire fixe l’image de Claudine dans l’imaginaire collectif. Malgré le succès, le couple n’est pas heureux et se sépare en 1906. Colette vit un temps avec Mathilde de Morny, écrit désormais des livres sous son propre nom, danse et joue la pantomime sur les scènes de Paris et de province. Ses romans de plus en plus personnels et aboutis lui valent la reconnaissance de ses pairs.

Colette parle : signer La Retraite sentimentale

Débordante d’activité, Colette écrit également de très nombreux articles et chroniques, notamment pour Le Matin dont elle épouse le rédacteur en chef Henry de Jouvenel, en 1912. Le couple s’aime passionnément, puis se délite. A l’âge de 47 ans, Colette s’éprend d’un fils d’Henry, et finit par rompre quelques années plus tard-le scandale approchant. Qu’importe ! Princesse des Lettres françaises, mère d’une fille née en 1913, Colette enchaîne les conférences en Europe, les articles, les romans, les contrats publicitaires, les vacances au soleil. Capitalisant sur son nom et son image, elle lance même en 1932 une marque de cosmétique avec le soutien de son troisième conjoint Maurice Goudeket, qu’elle épousera à l’âge de 62 ans, en 1935.

Une figure nationale

Après la seconde guerre mondiale, Colette devient un personnage célébrissime et presque touristique, que les curieux peuvent apercevoir derrière une fenêtre du Palais-Royal, dans son dernier appartement. Elle est élue présidente de l’académie Goncourt en 1949 et sera la première femme honorée d’obsèques nationales à sa mort, en 1954.

Colette parle : Gros-crapaud
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Colette parle : les fervents

Colette et son époque

Méprisant les féministes, répugnant à tout engagement politique ou social, Colette fut d’abord l’héroïne de sa propre vie, avec intelligence, courage et ténacité. A l’écoute des attentes de son temps, elle sut faire briller sa propre singularité, tout en se gardant de glisser vers une marginalité qui n’aurait été d’aucun profit. La force de caractère de Colette lui permit d’évoluer dans un anti-conformisme épicé qui contribua au succès des œuvres, y compris des pièces de théâtre (voir tract ci-contre !). A vrai dire, l’homosexualité féminine ne choquait que la bourgeoisie la plus conservatrice, et divertissait un très large public. En plus d’être un grand écrivain, Colette était une publicitaire avisée qui sut soigner son image pour faire valoir ses écrits.

Colette dans l'histoire de la littérature

Colette est de la génération 1870, celle de Proust, d’André Gide, de Paul Valéry, de Paul Claudel. Ces écrivains ont en commun un sens de l’équilibre, de l’élégance, une écriture très raffinée et une esthétique plutôt classique. Après les romanciers et poètes écrasants du XIXe siècle, ils ont dû trouver leur propre chemin, et leurs propres sujets. Avec Willy, Colette a fait apparaître une nouvelle figure dans la littérature : celle de l’adolescente. Puis elle s’est épanouie dans une écriture aux frontières du romanesque et du vécu. Lorsque Colette évoque Colette ou bien Sido (sa mère), ce sont autant des personnages littéraires que des être vivants. L’autofiction, si florissante aujourd’hui, lui doit beaucoup. Elle en fut l’une des pionnières.

Colette parle : l'homosexualité dans Claudine en ménage

L'extraordinaire Colette

Ne cherchons pas dans les œuvres de Colette un souffle épique ou de grandes constructions romanesques. Son univers est grand comme un timbre-poste. Il y a la maison et le jardin de Saint-Sauveur en Puisaye. Il y a sa mère, elle-même, ses amis, ou plutôt leurs doubles reconstruits. Il y a surtout des situations de face-à-face ou de trio amoureux, le plus souvent dans un milieu oisif et privilégié. Mais sur la situation la plus banale, devant l’objet ou l’animal le plus familier, Colette pose ce regard si singulier, non point tant féroce comme celui de Proust, qu’attentif et émerveillé. Ceci dans un style gourmand savouré par tous les écrivains, et notamment par son voisin du Palais-Royal Jean Cocteau :

« Le style de Madame Colette est capiteux. Il économise le sel, évite la graisse, use de poivre, d’ail, d’herbes diverses, et ne craint pas de faire mordre à même un de ces petits piments rouges, un de ces petits bonnets de gnome, qui emportent la bouche. »

Colette parle : fabrication littéraire

Dix œuvres majeures

1900

Claudine à l'école

Claudine, c’est l’irruption de l’adolescence dans la littérature. La narratrice de quinze ans porte un regard à la fois frais et déluré sur les mœurs de ses professeures, bien plus préoccupées par leurs amours que par l’éducation des écolières.

« Ma maîtresse d’anglais me semble adorable ce soir-là, sous la lampe de la bibliothèque ; ses yeux de chat brillent tout en or, malins, câlins, et je les admire, non sans me rendre compte qu’ils ne sont ni bons, ni francs, ni sûrs. »

1902

Claudine en ménage

Suite de Claudine à Paris, ce roman montre l’héroïne en ménage avec un homme un peu transparent, Renaud, qui ne s’oppose pas à l’attirance de sa femme pour Rézi…

« Ce Renaud puissant me fait penser, par association d’idées, à la longue Anaïs qui voulait toujours glisser ses énormes mains dans des gants trop serrés. À part ça, j’aime tout, en fait j’aime tout trop. Il est doux d’ignorer d’abord, puis d’apprendre, tant de raisons de rire nerveusement, de crier, et d’émettre de courts gémissements en cambrant mes orteils. »

1908

Les Vrilles de la vigne

Émancipée de la tutelle de Willy, Colette trouve peu à peu sa manière et son style. Les courts récits des Vrilles de la vigne constituent un ensemble où apparaissent les thèmes qui reviendront dans son œuvre : l’indépendance, la nature, la nostalgie de l’enfance, la solitude…

« Une enfant très aimée, entre des parents pas riches, et qui vivait à la campagne parmi des arbres et des livres, et qui n’a connu ni souhaité les jouets coûteux, voilà ce que je revois, en me penchant ce soir sur mon passé… Une enfant superstitieusement attachée aux fêtes des saisons, aux dates marquées par un cadeau, une fleur, un traditionnel gâteau… »

1920

Chéri

Fortunés, oisifs et raffinés, Léa et Fred vivent pour le plaisir sans penser à demain. Fred a 25 ans et Léa le double. Leur désinvolture de bon ton sera prise en défaut par la violence des sentiments qui les animent inconsciemment. Un court roman presque proustien, et l’un des meilleurs de Colette.

« Allons acheter des cartes à jouer, du bon vin, des marques de bridge, des aiguilles à tricoter, tous les bibelots qu’il faut pour boucher un grand trou, tout ce qu’il faut pour déguiser le monstre -la vieille femme… »

1923

Le blé en herbe

Phil et Vinca ont 16 et 15 ans et s’aiment depuis l’enfance. Leur amour est mis à l’épreuve par l’adolescence et par l’irruption d’une dame qui va faire de Phil un homme. Un roman à la réputation sulfureuse, en réalité très délicat et un brin désuet…

« Je crève, entends-tu, je crève à l’idée que je n’ai que seize ans ! Ces années qui viennent, ces années de bachot, d’examens, d’institut professionnel, ces années de tâtonnements, de bégaiements, où il faut recommencer ce qu’on rate, où on remâche deux fois ce qu’on n’a pas digéré, si on échoue… Ces années où il faut avoir l’air, devant papa et maman, d’aimer une carrière pour ne pas les désoler, et sentir qu’eux-mêmes se battent les flancs pour paraître infaillibles, quand ils n’en savent pas plus que moi sur moi… »

1928

La Naissance du jour

Dans ce livre inclassable, Colette se livre à une rêverie où se mêlent réel et imaginaire. La figure de sa mère, l’amour, la nature paraissent au long des méandres de sa plume.

« J’ai le souvenir très net d’avoir été moins chérie de mes bêtes, quand je souffrais d’un trahison amoureuse. Elles flairaient sur moi la grande déchéance : la douleur. »

1930

Sido

La mère de Colette (Sidonie) a joué un rôle très important dans le devenir de sa fille. Il a fallu beaucoup de temps pour que Colette puisse finalement en dessiner la figure. Sido en est un portrait rêvé, idéal et qui appartient avant tout à la littérature.

« Toute présence végétale agissait sur elle comme un antidote, et elle avait une manière étrange de relever les roses par le menton pour les regarder en plein visage. »

1930

Douze dialogues de bêtes

Version enrichie d’une première publication de 1904, ce livre est principalement constitué de conversations entre un bouledogue (Toby-le-chien) et un chat (Kiki-la-doucette). Un chef d’œuvre !

« Kiki-la-doucette : Mon Dieu, que ce chien est fatiguant ! Qu’est-ce que peut lui faire qu’il y ait un malheur ? d’ailleurs, je n’en crois rien. Ce sont des cris d’homme, et les hommes crient pour le seul plaisir d’entendre leur voix… »

1933

La Chatte

Alain et Camille sont de jeunes gens riches et oisifs. Ils se marient. Mais en réalité, le couple est un trio : il faut en effet compter Saha, la chatte d’Alain, qui va bientôt prendre une importance cruciale dans leurs relations… Avec Chéri, La Chatte est l’un des meilleurs romans de Colette.

« Dès qu’il supprima la lumière, la chatte se mit à fouler délicatement la poitrine de son ami, perçant d’une seule griffe, à chaque foulée, la soie du pyjama et atteignant la peau juste assez pour qu’Alain endurât un plaisir anxieux. »

1946

L’Étoile Vesper

Colette fut une femme extraordinairement active. Clouée au lit par l’arthrose, comment va-t-elle réussir à trouver le bonheur dans cette vieillesse qui commence ? L’Étoile Vesper est l’expression d’une sagesse constamment réinventée.

« Que le mal nous façonne, il faut bien l’accepter. Mieux est de façonner le mal à notre usage, et même à notre commodité. C’est une manière d’exploitation à laquelle les jeunes, les robustes sont malhabiles, et je conçois bien qu’on leur fasse difficilement comprendre, par exemple, que la quasi-immobilité est un cadeau. »