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Les tableaux de Jean Béraud représentent parfaitement le milieu et l’époque décrites par Proust : la haute bourgeoisie salonnière et l’aristocratie de la belle époque. Pour l’anecdote, Jean Béraud fut le témoin de Proust lors du duel qui l’opposa à Jean Lorrain !

« Autour du piano », 1880, musée Carnavalet.

« Une soirée », 1878, Musée du Louvre.

« Le monologue », 1882 (coll. particulière)

 

L'amour

Il est beaucoup question d’amour dans A la Recherche du temps perdu. Hélas ! Pour l’auteur, même le simple attachement est en définitive vecteur de plus de peines que de joies. Un peu à la manière des personnages tragiques de Racine comme Phèdre ou comme Néron, les personnages de La Recherche sont dévorés par l’amour qu’ils ressentent. Pour Proust en effet, l’amour est par essence pathologique, dévié de son objet, souffrant, cruel. Il est inséparable de la jalousie et naît avec elle. Il est une illustration parfaite de la théorie mimétique de l’anthropologue René Girard, selon qui le désir naît toujours dans une configuration triangulaire, c’est-à-dire par le désir d’une tierce personne : on désire un objet ou un être parce qu’un autre le désire. C’est d’ailleurs aujourd’hui le principe des publicitaires ayant recours aux influenceurs : susciter le désir pour un objet non en détaillant ses qualités, mais en montrant le désir d’une célébrité pour l’objet. Ainsi, Swann trouve Odette belle le jour où il s’avise qu’elle ressemble au portrait d’une peinture célèbre, et devient fou d’elle à mesure qu’il la croit infidèle et désirée par un autre. Swann aura cette phrase conclusive :

« Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »

L'humour

A la Recherche du temps perdu est aussi un livre plein d’humour. Quiconque observe la comédie sociale avec assez d’attention ne peut pas s’empêcher de la trouver irrésistiblement comique, autant que tragique souvent, et parfois les deux en même temps, comme ce moment où Swann annonce au duc et à la duchesse de Guermantes qu’il va mourir prochainement, et ceux-ci, impatients de se rendre à une soirée, font semblant de ne pas le prendre au sérieux, le duc lui lançant finalement sur le perron : « vous nous enterrerez tous ! ». Comme le duc de Saint-Simon, qui lui est si proche, et qu’il a d’ailleurs imité le temps d’une nouvelle dans Pastiches et Mélanges, Proust est un merveilleux portraitiste. Madame Verdurin dans son salon, « sanglotant d’amabilité », en est un exemple célèbre. Le docteur Cottard, habitué du salon, a quant à lui une caracteristique particulière, un peu comme Perceval de la série Kaamelott : les métaphores et le second degré lui demeurent indéchiffrables, de sorte que sa vie sociale est un combat :

« Sarah Bernhardt, c’est bien la Voix d’Or, n’est-ce pas ? On écrit souvent aussi qu’elle brûle les planches. C’est une expression bizarre, n’est-ce pas ? »

L’humour chez Proust peut prendre un tour plus caustique, venant de la personnalité même des protagonistes du roman : ainsi le baron de Charlus, vexé par un narrateur naïf et insensible à ses avances, le « douche » par une tirade bien sentie.

Au delà des apparences convenables présentées plus haut, les oeuvres de Jean Béraud nous donnent à voir parfois la violence derrière le décor de la belle époque :

Altercation dans les couloirs de l’opéra (1889)

Après la faute (1885-1890), National Gallery, Londres ;

L’escrimeuse (Coll.particulière)

Le temps

C’est évidemment le sujet principal du livre, ou plutôt, son materiau. Qu’est-ce que le temps ? « Quand on ne me le demande pas, je le sais, quand on me le demande et que je doive l’expliquer, je ne sais plus ce que c’est », disait à peu près Saint Augustin. C’est l’objet philosophique casse-tête par excellence, à la fois de l’expérience la plus commune et de la conceptualisation la plus difficile. Au fond, l’idée fondamentale de Proust peut se résumer ainsi : le temps nous métamorphose et nous emportera ; nous n’avons de communication qu’au devenir et nous n’avons aucun moyen d’échapper au temps SAUF quand notre mémoire involontaire fait revivre le passé dans des moments d’éternité, c’est-à-dire hors du temps. C’est la fameuse madeleine de Proust. Ce sont des moments de grâce, imprévisibles et magiques, qui nous font exister sur un autre plan. Un peu comme l’orgasme chez Michel Houellebecq, et plus encore comme l’ivresse -d’opium, de vin, de parfum, chez Baudelaire.

Une partie du projet de Proust dans La Recherche est de rendre sensible cette dimension de l’existence humaine, « qui nous reste habituellement invisible », mais qui détermine nos pensées, nos affects, notre devenir entier, croissant au point de devenir comme un boulet que les vieilles gens traînent à leurs pieds et ralentissant leurs mouvements, ou, si l’on veut reprendre la métaphore finale du Temps retrouvé, comme de longues échasses qui à la fin de notre vie sont si hautes qu’elles rendent notre démarche flageolante et incertaine.

L'homosexualité

Au tournant du siècle, le milieu littéraire était majoritairement homosexuel ; dans ce cercle, l’homosexualité était donc tout sauf une tare. Mais aucun livre n’en parlait. Il y avait là une hypocrisie que les esprits épris de sincérité ou de vérité ne pouvaient pas longtemps supporter. Au dire d’André Gide, Proust et lui ont souvent parlé de leur projet de mettre le sujet sur la table et de briser le tabou. Proust l’a fait le premier avec la publication de Sodome et Gomorrhe. A vrai dire, l’homosexualité du baron de Charlus, révélée dans ce volume, se double d’une perversion certaine et d’une mégalomanie presque délirante, et Gide reprochera à Proust d’avoir présenté l’homosexualité sous un jour si détestable. En fait, le narrateur découvre que le baron de Charlus n’est pas seul concerné, et marchant de découvertes en découvertes il soupçonne bientôt l’existence d’un monde parallèle, réprouvé et marginalisé, obligeant ses membres à user de discrétion et d’un code de reconnaissance réciproque compris d’eux seuls. Finalement, une multitude de personnage se révèlent homosexuels ou ayant connu des tendances homosexuelles (Marcel Proust n’aimait pas le mot, et lui préférait le terme « inverti ») : Albertine, Adalbert de Courvoisier, Esther Lévy, Gilberte Swann, le prince de Foix, père et fils, le prince de Guermantes, Jupien, Léa, Legrandin, Robert de Saint-Loup, Odette Swann, Morel, la fille de Vinteuil, etc. Beaucoup de personnages, mais pas le narrateur !

Scènes de la vie parisienne à l’époque de la jeunesse de Proust (fin XIXe siècle), par son ami le peintre Jean Béraud.

Le soir sur la rue de la paix (1907), coll. privée

Les Champs-Elysées, coll.privée

Le chalet du cycle au bois de Boulogne, (v. 1900) musée Carnavalet (détail)

L’arrivée des midinettes (1901) coll. privée