La Bruyère s’interroge sur la nature de l’homme. Il ne le fait pas à la manière d’un médecin ou d’un philosophe, mais plutôt comme un anthropologue : il recueille des faits, note des observations, des parallèles ou des contradictions, en tire certaines conclusions mais sans la prétention de construire un système. Pour lui, l’homme est si divers, successif, ondoyant, qu’il ne pourrait faire l’objet d’une science. C’est pourquoi, si Théophraste, auteur grec du IVe siècle avant J.-C., avait l’ambition dans ses Caractères de classifier les comportements humains comme des plantes, bientôt le projet de La Bruyère donne une part un peu plus grande à l’ombre, comme dans le tableau des frères Le Nain (haut de page) : l’homme est par bien des côtés sombre et énigmatique.
Pour montrer ces différents aspects et nous interroger sur nous-mêmes, La Bruyère emploie plusieurs techniques. En particulier, comme le faisait déjà Montaigne, il cherche à changer notre perspective sur les humains, en prenant le point de vue d’une culture éloignée, ou même celui des animaux.
« J’entends corner sans cesse à mes oreilles : l’homme est un animal raisonnable. Qui vous a passé cette définition ? Sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l’êtes accordée à vous-mêmes ? »
Que penser de la nature humaine quand on voit la foule se presser à une exécution publique avec appétit pour bien regarder le visage « d’un homme qui sait qu’il va mourir » ? « Vaine, maligne, et inhumaine curiosité », écrit La Bruyère. Inhumaine, et pourtant humaine : voilà bien quelque chose de sombre et d’énigmatique.